La survivante

Chapitre 27 : panser ses plaies

Elijah entre dans la chambre à moitié plongée dans la pénombre. J'allume d'une main la petite lampe posée sur la table de chevet et je me redresse difficilement pour pouvoir m'asseoir. Il apporte un plateau et je distingue deux verres de jus de fruit, et une assiette. L'odeur qu'elle dégage me met l'eau à la bouche.

- J'espère que ces gaufres sont pour moi.

- J'espère que tu les aimes toujours avec du chocolat fondu par dessus.

Il pose le plateau sur le lit, à mes côtés, et se met à me fixer. Je lui explique brièvement que Rebekah m'a aidée à me "refaire une beauté". Du coup, bye bye le maquillage qui cache mes tâches de rousseur et les cernes apparues après mon arrivée à la Nouvelle-Orléans. C'est peut-être pour ça que je me sens soudainement gênée de voir Elijah me fixer sans rien dire. Je détourne le regard pour le poser sur le plateau à mes côtés. Elijah se relève et va chercher quelque chose dans la salle de bain adjacente. Lorsqu'il revient, je comprends que je saigne toujours, et qu'il veut changer mon pansement... encore une fois. Je le laisse faire sans y prêter attention. Non, mes pensées sont ailleurs. Je vois ces gaufres, appétissantes, couvertes de sauce au chocolat. C'est fou, mais d'un coup, j'ai faim. Puis je vois les deux verres : l'un contient du jus d'orange, et l'autre un liquide moins opaque, rouge. Je fronce les sourcils et regarde à nouveau Elijah.

- Tu espérais me faire boire ton sang sans que je ne m'en aperçoive ?

- Non, c'est du jus de canneberge. Je n'arrivais pas à me rappeler si tu aimais ça ou pas. Il fait une petite pause avant de reprendre la parole. Mais puisque tu en parles...

- Elijah, tu sais ce que j'en pense. J'ai refusé à l'époque, je refuse encore aujourd'hui.

- Je comprends ton point de vue, mais écoute-moi. J'ai soudainement l'impression qu'il a préparé son discours en même temps qu'il préparait les gaufres, alors autant l'écouter jusqu'au bout. Nous avons besoin de toi Cassie. Mais pas d'une version amoindrie de toi. Il faut que tu sois au maximum de tes capacités.

- Je sais mais...

- S'il te plaît, laisse-moi finir. Il soupire brièvement. D'un côté, tu dois pouvoir pratiquer la magie à 100%. D'un autre côté, dans ton état, tu es une proie facile pour Dahlia, et elle va utiliser ça à son avantage. Elle risque de s'en prendre à toi, et je ne peux pas la laisser faire à nouveau. Ce qui veut dire que je risque d'être blessé inutilement, parce que je voudrai te sauver. Alors oui, je sais très bien que tu es contre ce genre de pratique, que tu veux guérir par toi-même au lieu d'utiliser mon sang... mais Cassie... je te le demande. Pour notre bien à tous, juste cette fois-ci, accepte.

Pendant quelques secondes, je le regarde. Il sent que je suis en pleine réflexion. Je finis par me dire qu'il n'a pas tort dans son raisonnement. Mais je ne sais pas si je suis prête à prendre le risque. Je sais que cela peut me guérir totalement, et même si l'idée de ne plus souffrir me plaît énormément, je trouve que c'est un peu de la triche que d'accepter ça, comme ça. Mais je sais aussi que si je meurs avec le sang d'Elijah dans mon système, alors je deviendrai moi aussi une vampire, et ça, c'est quelque chose que je ne veux pas. Mais alors que je suis mentalement en train de peser le pour et le contre, Elijah m'assène le coup de grâce. Un murmure s'échappe de ses lèvres.

- Je ne veux pas te perdre.

Il faut dire que depuis mon arrivée en ville, nous avons créé un lien très fort Elijah et moi. Chaque nuit, nous nous retrouvons et nous discutons un long moment. Nous avons appris à nous connaître, et même si cela ne fait pas si longtemps, j'ai parfois l'impression que je l'ai connu toute ma vie. Et je dois avouer qu'il sait beaucoup de choses plutôt personnelles à mon propos : il sait que j'ai une grosse cicatrice sur une partie de l'épaule et du dos, une cicatrice que j'essaye de garder toujours cachée, il sait aussi que j'ai tendance à fuir lorsque je suis touchée par quelque chose, une conversation ou à ce que quelqu'un me dit, il sait aussi que j'en ai trop vu dans ma vie pour avoir une vie normale, mais que je n'en parle jamais. Et de mon côté, je sais aussi certaines choses sur lui que d'autres m'envieraient : il est tout aussi beau en t-shirt qu'en costume, il déteste la saleté, il a ce sentiment d'être redevable envers son frère Klaus, et c'est pour cela qu'il lui est toujours fidèle, et qu'il accepte toutes ses crises sans rien dire, sans s'opposer. Mais ce que je sais aussi d'Elijah, c'est que malgré ses airs de vampire originel dur, il a un cœur en or, et il a cette peur terrible de perdre ceux qui lui sont proches. Je découvre ce soir que j'en ferais peut-être partie. Je soupire profondément mais doucement.

- Comment ça fonctionne ?

Il sourit, visiblement soulagé, et m'explique la marche à suivre, qui est somme toute relativement simple. Il se mordra pour s'ouvrir la veine du poignet, et je boirai une petite quantité de son sang. Mais il pourrait tout aussi bien le transvaser dans mon verre de jus de fruit pour y faire passer de façon plus appétissante. Je hoche la tête.

- Non. Si on doit faire ça, on le fait correctement. Je vois qu'il esquisse un demi-sourire à mes paroles.

- Comme tu veux mademoiselle... Il me regarde et lève son bras face à son visage comme il l'a fait plus tôt dans la soirée. J'ai l'impression qu'il m'interroge encore une fois du regard afin de s'assurer que je suis bel et bien d'accord. Je vais donc me mordre et...

- Est-ce que ça te fait mal ? Il a l'air surpris par ma question et s'arrête dans son geste.

- On ne m'avait jamais demandé ça... un petit sourire passe sur son visage. Non. On s'y habitue avec le temps. Au début, ça brûle un peu, comme une morsure, mais après, ça cicatrise vite.

- D'accord.

Il porte son poignet à sa bouche et mord dedans. Puis il avance son bras vers moi en me disant que c'est à mon tour. Je prend sa main dans la mienne et le regarde avant de lui demander de fermer les yeux.

- Je t'ai vue dans des situations bien pires que celles-ci...

Sa réponse ne m'aide pas. Il ne comprend pas. Pourtant, je laisse tomber mes explications et je continue, portant son poignet sur mes lèvres. C'est chaud. Ça a un goût de ferraille, et je dois dire que ce n'est pas du tout agréable. Je retrousse le nez malgré moi ce qui le fait sourire. Du coup, je me mets à rougir. C'est dingue ce que je peux me sentir vulnérable là, pendant ce moment. Il détourne le regard avant de prendre la parole.

- Je pense que ça suffira. Je lâche sa main d'un coup. Tu te sentiras bien mieux très vite.

Il me regarde à nouveau en souriant. Je remarque qu'il a déjà commencé à cicatriser. Il me fixe, comme s'il attendait de voir une différence s'opérer en moi et je me demande combien de temps ça va prendre. Et puis, quelque chose se passe. Ça commence par cette sensation de légèreté. D'abord dans les jambes, puis elle remonte petit à petit, dans mon ventre, dans mes bras, dans ma tête. Et puis c'est comme si ce poids qui m'empêchait de respirer correctement s'enlevait. Je prends une grande inspiration, et je remarque que mes côtes me chatouillent, mais ne me font plus grimacer de douleur. Elijah prend ma main blessée, et tire dessus d'un coup, ce qui m'arrache un cri de douleur.

- Désolé. Il fallait le remettre en place avant, sinon, il aurait cicatrisé comme il était, et tu aurais eu un drôle de poignet. Je ne dis rien, retenant mon souffle à cause de la douleur qui monte le long de mon bras. Désolé Cassie. J'ai pensé que se serait mieux si tu ne savais pas. Face à mon mutisme soudain, il plante son regard dans le mien. Cassie ? Cassie, tu m'entends ? 

J'ai envie de lui dire que oui, je l'entends, mais que je dans l'incapacité de lui répondre. Je suis bloquée. En apnée. Mes yeux ouverts deviennent entièrement blancs et Elijah élève la voix en m’appelant. Sa voix est de plus en plus lointaine. J’aimerais lui dire que ça va, que mon poignet ne me fait plus mal, mais je ne peux pas le faire parce que je suis en train d'avoir une nouvelle vision du futur.