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Il va falloir rentrer.
Nous passerons par l'abbaye. Un moine sortira sûrement pour arroser une plante ou prendre l'air. Je le saluerai et il me complimentera sur ta beauté. Il pensera que tu es mâle et je rectifierai. Il ne comprendra pas pourquoi c'est important de rendre justice à ton sexe.

Les autres ne comprennent pas.

Je suis un chevalier près de la grande bâtisse religieuse. Un croisé, peut-être même et nous nous arrêtons pour boire à la fontaine. Je te fais boire en premier et ensuite je te rafraîchis. Tout pour toi d'abord, je me désaltérerai après.

À travers les hameaux du retour il se produit ce petit miracle, nous croisons des mômes.
À l'heure des iPhones, des avions, des bus et des voitures, au milieu des trotinettes à assistance électrique, les enfants sont toujours émerveillés par ta présence.
Eux seuls te regardent avec mes yeux, ils savent encore te voir. Il y a dans leurs regards la magie avec laquelle je t'observe. Un truc hors normes qui fait qu'en 2017, quand un cheval traverse un village, les ivrognes du café d'en face s'arrêtent de boire pour écouter le bruit de son pas sur le bitume.
Tes sonorités sont émouvantes.
Les cliquetis du métal, le grincement du cuir, tes ébrouments et ta respiration accompagnent en chœur synchronique tes déplacements.

Tu marches au rythme du myocarde.

Quand j'écoute une musique je ne la considère écoutable que si je t'imagine marcher, piaffer, galoper, passager, reculer, ou encore te cabrer dessus.

Tu fonctionnes sur le Boléro de Ravel, sur Rage against The Machine, tu exécutes de jolis gestes avec la même grâce sur la Rhapsody in Blue que sur Eminem. Tu trouves la beauté et la logique du mouvement sur chaque morceau dans mon esprit.

Le plus fou est que je n'écoute Jamais de musique sur ton dos. Je ne me permettrais pas.

Il faut que ton souffle soit accordé au métronome de ton amplitude, le mien suivra. Sur ce battement, cette bonne mesure, on obtient alors quelques foulées, quelques secondes d'accord parfait. Un espace temps que peu de gens arrivent à voir au final, mais parfois, lorsque cela arrive, ces quelques pas me ravissent pour des semaines.

J'ai attendu si longtemps les déplacements de ton corps, mais je ne le dis pas aux autres : ils ne comprendraient pas.

On dit beaucoup de choses sur tes poils. Il s'agit d'une robe sinon on te manque de respect. Les manuels ne manquent pas de qualificatifs pour la décrire. Tu as l'épaule mouchetée et aubère, tes jambes sont restées souris et ta croupe et tes flancs sont pommelés, ton nez est ladre et une trace de balzane apparait au bas de ton pied.

Finalement quand je fais le compte je te monte assez peu. J'exige rarement. L'essentiel de nos transports en commun se fait côte à côte.

Dans un pré il y a un petit cheval gris qui lève la tête et prend le galop vers un humain près de la barrière.

Dans mes yeux il y a au milieu des autres chevaux une créature splendide à la robe couleur de lune qui prend des reflets d'argent au Soleil. Quand je lève la main et que je crie ton nom tu lèves le nez.
Malgré l'herbe verte, malgré la compagnie de tes semblables qui te sont proches, malgré la liberté dans le champ, tu augmentes l'allure et tu amplifies la cadence.
Malgré ta liberté, tu quittes tout pour poser ton nez rose un instant contre ma main.

Et pour un instant je sais que tu comprends un peu.

Pour un instant je n'ai plus besoin de comprendre le reste.

Je ne parle pas trop de toi aux autresTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon