VIII

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Vendredi 23 Octobre


Chers parents,


J'espère que vous allez bien. Avec Joe, nous avons passé l'essentiel de la semaine à apprendre la scène 4 de l'acte I de Cyrano de Bergerac. Nous avons aussi travaillé, pas de souci. Mais ce n'est pas de ça que j'aimerais vous parler dans cette lettre. J'ai demandé toute à l'heure à Joe pourquoi il n'écrivait pas de lettre à ses parents.

- Je n'en n'ai plus...

Je l'ai interrogé pour savoir si c'était en rapport avec son inscription ici. Il m'a lancé un regard noir avant d'être appelé pour qu'on lui rende son bulletin. Il a eu 85%. Je suis à 70%.

J'ai quelques exposés supplémentaires la semaine prochaine, je pense que ma moyenne va encore augmenter, je pourrais peut-être revenir à la maison, même juste les week-ends pour commencer ? Je sais que j'ai fait une énorme erreur, je n'aurais jamais dû faire ça, je le regrette. Vraiment. J'ai changé. Je me rends compte maintenant du poids de mes actions. J'aimerais une autre chance. Maintenant, je travaille beaucoup plus et bien mieux, mon mental, ma façon de penser, s'est transformé et je me sens bien plus mature. J'ai fait pas mal de choses mais je les regrette et je suis prêt à me racheter si vous voulez bien me donner une seconde chance, mais surtout si vous voulez bien me pardonner. Je ne pense pas de toute façon arriver un jour à me pardonner moi-même.

Ce ne serait pas le genre de choses que je ferai aujourd'hui. Premièrement, ces personnes-là ne seraient pas mes amis, je ne pourrais plus être tenté non plus par les drogues à présent. Je serais responsable, je m'en sens capable maintenant ! Je sais hélas qu'il est trop tard pour certaines choses, des actions peuvent être irréversibles. Je m'en veux tellement pour Charlie ! Imaginer que plus jamais je ne le reverrai rire, entrer dans ma chambre pour me demander de l'aide pour ses devoirs, rire, se disputer avec moi, rire, rire aux éclats lorsque je le chatouille. Vous avez eu confiance en moi, pour une soirée, et je vous ai trahi. Je suis désolé. Je ne savais pas qu'ils ramèneraient d'autres potes à eux, je ne savais pas que ça allait dégénérer comme ça. Moi qui voulais enfreindre les règles, ça m'avait plu de détraquer le système affichant mes notes pour vous faire croire que j'avais plus, ça m'a tenté de tester ces drogues qu'ils ont apportées. Entendre tout le temps ses parents répéter des devoirs et interdictions, se disputer avec eux, se faire punir, vous ne croyiez pas que j'aurais eu envie de faire le contraire ? Le résultat est affreux, je sais, j'ai très mal réagi à ces saletés. Je me suis retrouvé dans le fossé, accident de moto, alors que mes "potes" foutaient le feu à la maison ! J'aurais pas pu prévoir que ça allait partir en couille comme ça ! Je pensais juste regarder la télé avec mes copains, on a été plus nombreux et voilà ! Je savais pas que c'était une erreur d'enfermer Charlie pour être tranquille, je savais pas qu'ils allaient asperger le sol d'essence et allumer le feu ! Je savais pas que ma vie partait complètement en live et que j'avais tort, je me sentais "bad" et j'aimais ça ! J'aimais cette sensation que j'avais en enfreignant les règles, j'aimais me promener dans la campagne au lieu d'aller en cours ! J'aimais ces mots dans mon carnet, le regard admiratif des autres quand je tenais tête au prof ! Et même, les réunions chez le proviseur, j'aimais vous voir tous devenir fous par ma faute !

Enfin bref. Tout ça, c'est du passé maintenant. Ça restera ancré dans nos mémoires à jamais mais je ne suis plus la même personne maintenant.

Je comprendrai si vous ne voulez pas me reprendre avant... Avant la fin de l'année scolaire. Même avant mon bac. A propos de ça, je suis déterminé, je veux aller en première scientifique l'an prochain. Je ne sais pas encore où j'irai après, probablement dans une immense université dans une grande ville où je me fondrai dans la masse. On n'est pas encore là.

Quoiqu'il en soit, j'espère que vous lisez mes lettres et que vous prévoyez de me répondre. C'est horrible de vivre ainsi, coupé du monde extérieur, relié uniquement par la certitude que vous lisez mes lettres, c'est le seul réconfort que j'ai par rapport au monde. La musique me manque aussi. Je rêve de regarder un bon film sous une épaisse couverture, habillé d'un vieux pyjama, une tasse de chocolat bouillant entre les mains, un bol de petits biscuits à proximité.

Prenez soin de vous,


Clovis

Lettres...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant