Situation IV

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Vous savez, lorsque je dis que je me sens seule, ce n'est pas dans le sens que vous croyez. Je sais et j'ai entièrement conscience d'avoir cette chance de posséder une famille géniale et de vraies amies. 

Quand je parle de cette solitude, c'est que je ne ressens pas cette sensation sublime dans ton cœur, ton cerveau, ton ventre. Cette sensation qui, le temps d'un regard, d'une discussion, d'un moment, unit ton esprit, ton cœur et ton corps dans un parfait mélange. Je n'ai jamais eu le cœur en vrac, la pensée heureuse rien qu'en m'imaginant une personne, je n'ai jamais ressenti ce que les gens appellent "amour". Et je le vis mal. 

Et en soit, amicalement je suis aussi seule. J'ai une meilleure amie, qu'on appellera C. C est dans le même établissement scolaire que moi mais elle a un autre groupe d'amies donc elle et moi, nous ne traînons que exceptionnellement ensemble. Ce n'est pas que je n'aime pas ses amies, c'est que déjà j'ai mes propres amies et en plus, je déteste m'incruster ainsi. Surtout que l'une de ses potes ne m'apprécie pas vraiment. J'ai fini par m'habituer, même si nous nous sommes clairement éloignées, comme je le craignais en début d'année. J'ai aussi une autre meilleure amie, T. T n'est pas dans le même établissement scolaire que moi mais on se voit beaucoup à côté. Sauf qu'elle a déjà une "meilleure meilleure amie" et parfois, je me rends compte que ce n'est pas vraiment une amie agréable même si je tiens beaucoup à elle. Enfin bref, tout ça pour dire que je ne suis la "priorité" de personne. T essaye de me rassurer en me disant que certes elle a un copain et une "meilleure meilleure amie" mais qu'elle tient beaucoup à moi aussi. Et je sais tout ça. Et même si je refoule les sentiments qui m'envahissent quand elle me le dit ou que j'y réfléchis,  je sais qu'ils sont tassés là et qu'ils apprécient grignoter des pans de mon cœur secrètement.

En fait, quand je dis que je me sens seule, c'est parce que personne ne m'aime. On tient à moi, on m'apprécie, on me considère comme une "meilleure amie" mais personne ne m'aime. 

J'ai besoin d'amour. Besoin d'étreintes qui pourraient paraître insignifiantes mais qui recolleront les morceaux éparpillés de mon corps. Besoin de baisers pour m'envoyer valser, pour traîner dans les nuages avec cette sensation légère dans le cœur, pour me sentir vivre. Besoin de vivre, d'aimer, besoin d'exister pour quelqu'un, besoin de lui, d'elle, de quelqu'un.

J'me sens seule. Depuis quatre années. Depuis quatre années, j'ai ce besoin qui peut prendre toute la place certains soirs, comme un démon, comme un attaquant. Comme un envahisseur qui s'engouffre par tous les côtés où c'est possible et qui m'étouffe entre ses bras noirs et froids. Il m'empêche de pleurer, il me coupe la respiration, il paralyse mes pensées sur des choses négatives, des choses qui ne mériteraient pas mon attention. Mais je n'ai pas la force pour détourner le regard quand il est là. J'y arrive avec mes amies, ma famille, mes proches, avec des gens autour de moi mais seule, non. Il n'apparaît jamais quand il y a des gens qui sont proches de moi et qui me parlent. Cette invasion qui ne vient que lorsque je suis seule ne fait que renforcer mon sentiment impressionnant de solitude.

On m'a dit, plusieurs fois, qu'il faudrait que j'en parle à quelqu'un. Un adulte, et en face à face. Mais cette honte que je ressens chaque fois que je veux parler de ce qui ne va pas m'envahit la poitrine. Elle me fait reculer, me fait peur. J'ai honte de ce démon, de cette fragilité auquel je suis exposée chaque soir, j'ai honte de qui je suis quand je suis seule, j'ai honte. J'ai honte des peu de larmes que je laisse couler. J'ai honte de ce qui fait ce que je suis, de ce qui me hante, de ce qui me fait peur. J'ai honte de moi. J'ai peur aussi. Peur de chialer, peur de ne pas être comprise, peur de trop souffrir, peur de ne plus vouloir vivre, peur de ne jamais aimer, peur d'affronter un regard, rempli de pitié ou d'inquiétude. Peur d'en parler.

Pourtant, je sais qu'il faudrait. Que ça me sauverait, peut-être. Que ça me ferait du bien, sûrement. Que personne ne se moquera de moi, jamais. Pourtant..

Toutes celles à qui j'ai avoué ce qui ne va pas sous-estiment mon démon, je crois. Je ne sais pas si je leur ai dit que c'était quasiment tout le temps, que dès que j'ai posé mon crayon sur mon cahier après les cours, quand j'ai terminé mes devoirs, il y a ce nuage noir opaque qui me pénètre et m'angoisse, m'étouffe.

Actuellement, il a commencé à m'envahir même en cours. Une amie, de longue date, s'est rapproché du groupe de C. Et elle va souvent avec elles. Et je ne comprends pas vraiment pourquoi, ça ne me rend pas bien. Peut-être parce que le groupe de C s'est attachée à mon amie. J'ai toujours fait l'effort de les laisser respirer, j'ai toujours eu cette peur de déranger, de saouler. Et voir que l'une des amies de C ne m'appréciait pas beaucoup m'éloignait d'elles. Et comprendre que mon amie a eu une facilité déconcertante pour s'intégrer à leur groupe me rend triste.

Le seul "avantage" de toute cette histoire, c'est que je n'ai plus autant peur de ce nuage noir étouffant qu'avant. Aujourd'hui, j'ai tellement pris l'habitude de cette douleur, de cet étouffement, que c'est limite si je ne tends pas ma poitrine quand il arrive. C'est l'habitude, et je ne crois pas (j'en suis même sûre à vrai dire) que ça soit bon. Je m'enferme dans un cercle vicieux d'habitudes négatives et douloureuses, qui peut mêler le temps de quelques heures avec quelques personnes des rires et un léger bien-être.

- mercredi 14 juin 2017.

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