8. ELLE

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Trois jours.

Trois jours que l'attentat a eu lieu. Trois jours que je suis cloîtrée dans ma chambre, à Duramene, ma petite ville natale, inconnue pour la plupart. Trois jours que les informations ne parlent que de cette attaque aux journaux, à la télévision et même à la radio. Trois jours que je ne ferme pas l'œil de la nuit. Trois jours que je ne parle presque pas.

Trois jours.

Mon petit ami, Adam, n'a pas arrêté de m'envoyer des messages et de m'appeler. Je n'ai pas répondu. Il a tenté de venir à la maison. J'ai refusé de le voir. Mes parents lui ont dit que j'avais besoin de temps. Je n'ai ni la force, ni le cœur à parler et à voir qui que ce soit. Je veux rester seule. Seule avec moi-même. Seule avec mes horribles souvenirs.

Je ne mange presque pas non plus. A quoi bon ? Je ne bouge quasiment pas, à part pour aller de mon lit à ma salle de bain, de ma salle de bain à ma fenêtre, et de ma fenêtre à mon lit. Ainsi de suite.

Mes parents sont inquiets. J'en suis sincèrement désolée pour eux, mais je ne peux pas faire autrement. Je n'y arrive pas. Dès que mes paupières se ferment, ne serait-ce qu'une seule minute, les images atroces de cette nuit d'horreur me reviennent en mémoire, me glacent le sang et alors je panique, ma respiration se coupe, j'étouffe.

Je vais m'asseoir sur le banc de fenêtre de ma chambre, là où j'ai passé la quasi-totalité de mon temps durant ces dernières heures. J'appuie ma tête contre la vitre de ma fenêtre. A l'extérieur, quelques voitures passent sur la route, devant l'hôtel de mes parents. Quelques personnes sont au bar, en face de l'hôtel, juste de l'autre côté de la route. Le ciel est magnifique et je suis certaine qu'il y fait une chaleur étouffante.

Je soupire, détourne mon regard et celui-ci tombe sur mon carnet sur mon bureau. Je m'en approche et le prend. Habituellement, j'y écris tout ce qui me passe par la tête, et parfois même ce qu'il peut m'arriver durant mon quotidien, comme s'il était mon journal intime. D'ailleurs, je ne le fais jamais lire à personne. Il est mon jardin secret. Et ce jardin est bien rempli. Il ne doit plus que me rester un quart du cahier de libre. J'attrape au passage un stylo bille bleu ainsi que mon IPod que je n'ai pas touché depuis... depuis avant cette soirée d'horreur. Mon cœur se soulève rien qu'en y repensant. Je retourne m'asseoir en vitesse vers ma fenêtre, pas sûre que mes jambes vont encore réussir à me porter si je reste debout. J'ouvre mon carnet. La dernière chose que j'y ai écrite date de juste avant mon départ avec Ella pour le concert. J'étais heureuse. Ella aussi. Elle était surexcitée et nous nous envoyions même des tonnes de messages avant son arrivée. Mais depuis que nous nous sommes quittées après le concert, je n'ai plus aucune de ses nouvelles.

D'ailleurs, après être sorties de cette salle de concert, je ne me rappelle presque plus de rien, comme si mon cerveau avait décidé de tout supprimer cette partie de ma vie. Ou en tout cas, de l'enfouir au plus profond de moi-même pour que je ne réussisse pas à y mettre la main dessus. Les dernières choses dont je me rappelle sont ma mère qui m'enlace dans ses bras, en pleurs, avec tellement de force, et mon père, soulagé, également en pleurs. Je me rappelle ensuite avoir été de retour dans ma chambre et refuser une quelconque présence avec moi. Le trajet du retour et la sortie du concert ne sont que des trous noirs. Au mieux, des images floues que je ne tente même pas d'éclaircir. Puis, les jours sont passés sans que je ne les vois réellement. Sans que je ne les vive réellement, comme si je n'étais qu'une simple spectatrice de ma propre vie.

Je refuse des regarder les informations mais aussi que l'on m'en parle. J'ai éteint mon téléphone portable, et ne l'allume qu'une fois par jour pour lire en diagonal tous les messages que je reçois puis je le reteins, sans jamais répondre. Si je le faisais, je ne saurais même pas quoi répondre. Soit ce serait trop futile, soit je me laisserais aller à mes sentiments, à mes souvenirs, et alors tout me submergerait sans que je ne sache quoi faire et je sais que je craquerais.

ViesWhere stories live. Discover now