L'ÎLE FLOTTANTE (partie 1)

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Quand Robin s'éveilla, il sentit que son corps glissait lentement, très lentement le long d'une surface dure et bosselée. Il sentit en même temps une odeur âprement sucrée, et releva la tête pour analyser la situation. Son complet-veston adhérait par endroits à la substance sur laquelle il gisait quoiqu'il continuât de glisser, sur le dos, les pieds en avant, vers l'océan. Un petit rebord parfumé lui permit de s'agripper et de mettre un terme à cette descente sournoise qui menaçait de l'entraîner, mielleusement mais sûrement, vers l'onde et ses profondeurs abyssales.

Il s'assit, solidement arrimé à son petit rebord, et jeta un coup d'œil panoramique alentour, mais ne vit pas trace de bateau. Il aurait pourtant dû y avoir une épave, quelques planches, un récif, quelque chose à la surface : un naufrage doit laisser des traces, au moins pendant quelques heures... à moins que Robin ne fût demeuré inconscient plus longtemps qu'il ne croyait.

En se relevant, il s'aperçut qu'il pouvait tenir debout sur cette pente glissante, car ses semelles y trouvaient meilleure prise que son complet-veston. Se détournant de l'océan, il se mit à explorer l'intérieur de ce qu'il se voyait bien obligé d'appeler une île. Celle-ci, peu volumineuse au total (huit mètres de diamètre, tout au plus), semblait toute entière recouverte de cette matière rigide, à la fois glissante et adhésive qui luisait intensément au soleil. Le tout était couleur noisette et formait une sorte de petite colline. Au centre s'élevait un cocotier, haut comme deux hommes à peine, mais Robin ne put pas même espérer se sustenter de ses fruits, l'arbre n'en présentant aucun. Pourvu que la bonne saison ne tardât pas trop...

Le soleil était déjà haut dans le ciel, et il n'y avait pas un nuage en vue – à part, peut-être, un petit stratus de crème chantilly, qui glissait doucement sur la mer d'huile. Comme il scrutait la cime du cocotier, Robin vit soudait une énorme masse ronde et violette émerger du feuillage et s'enfler vers le haut, comme un fruit poussant en accéléré. Il fut bien vite détrompé en voyant la sphère violette se détacher et s'élever encore plus, avec au-dessous d'elle un petit panier suspendu : il s'agissait d'une montgolfière en pleine ascension que le cocotier avait caché aux yeux de Robin dans les premiers instants. Celui-ci en conçut un espoir renouvelé, car l'occupant de cet engin était sûrement en mesure de rejoindre le continent, de signaler la position de l'île et de lui envoyer du secours...

Il escalada tant bien que mal le pente qui menait au sommet de l'île, à l'endroit où se dressait le petit arbre, dans le but de mieux s'exposer au regard du voyageur atmosphérique. Il dérapa, ce qui ne pouvait manquer d'arriver, et parvint à s'immobiliser en se rattrapant au tronc du cocotier. Là, il découvrit, médusé, que l'autre versant de l'île – qui lui avait jusqu'alors été dissimulé par la pente – était également occupé. Il observa un moment ce grand type dégingandé, avec son T-shirt blanc sale et son bermuda vert trop ample, sa casquette rouge mal assise sur une longue tignasse hirsute qui descendait jusqu'aux épaules osseuses. Le type, qui lui tournait le dos, assis par terre, semblait en proie à quelque activité fébrile. Robin, au vu du nombre de coquilles brisées qui flottaient çà et là autour du rivage, comprit très vite que son nouveau voisin s'était réservé toute la moisson du cocotier, et se dépêchait de manger le dernier fruit avant le réveil de l'inconnu en complet-veston. Pas de pot, l'inconnu était déjà réveillé.

Lorsque Robin releva les yeux, la montgolfière s'était évanouie. Le mieux à faire, pour l'instant, était de faire connaissance avec cet homme. Son comportement actuel ne le rendait guère sympathique à Robin, d'autant qu'ils ne paraissaient pas avoir grand-chose en commun (Robin était petit et rondouillard, l'autre grand et malingre), mais s'ils devaient vivre ensemble quelque temps sur cette île étroite, autant faire bon voisinage.

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