01 - C'est la goutte d'eau qui met le feu aux poudres

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Un bruissement d'ailes brisa le silence qui régnait dans la cuisine. Azariel remit son manteau en place et se regarda dans le miroir pour remettre en place ses cheveux blonds platine. Ces vols à grande vitesse lui donnaient toujours l'air d'un épouvantail avec un sérieux problème mental. Heureusement, cette fois, il n'avait pas perdu sa jupe et ses chaussures.

Il entra dans la pièce, à peine éclairée par le soleil couchant. Où est-ce qu'il était ? Il n'en avait pas la moindre idée. Il avait suivi le signe vital de Justinien et à présent, le voilà devant un mec avec une branche de persil plantée dans la tête. Mort, apparemment. A cause de la branche de persil. Il se pencha vers le cadavre et posa la main sur son front. Ce mec avait été humain. C'était inhabituel, Justinien ne tuait pas des humains, auparavant. Apparemment, son petit séjour en prison lui avait fait développer son imagination.

Un ordinateur portable était posé sur le plan de travail, maculé de quelques tâches de sang. Ouvert sur une page internet qui expliquait comment réussir une mousse au chocolat. Pourquoi Justinien était-il venu assassiner à coup de persil un pauvre mec qui voulait juste manger une mousse au chocolat ? Il ne s'était pas échappé de prison pour tuer, ç'aurait été bien trop simple pour l'esprit compliqué de son frère.

Son frère ... Là haut, ils étaient tous frères, qu'ils ne veuillent ou non. Certains aînés avaient plus d'importance que d'autres mais, en théorie, chacun avait droit à autant de considération que son voisin. En théorie. Bien sûr, la réalité était bien plus alambiquée. Le respect des autres dépendait de son rang, de son appartenance, de ses affiliations ... et de bien d'autres choses. Le Paradis, c'était juste une version agrandie et plus mortelle des Ch'tis à Ibiza, certaines semaines.

Roniel atterrit à son tour. Il était jeune et il avait énormement de mal à repérer les traces de Justinien. Azariel n'en avait rien à faire de ce jeune prétentieux qui se pensait meilleur parce qu'il avait reçu les faveurs de Raphaël. Il fit un roulé boulé peu élégant et Azariel leva les yeux au ciel. Pour un ange, c'était un sacré empoté.

"Tu aurais dû m'attendre, mon frère !"

Il sentait bien le reproche dans sa voix. Il l'avait perdu après avoir fait une brusque embardée sur le côté pour éviter une grande tour. Et Roniel voulait, de toute évidence, qu'il lui tienne bien gentiment la main et l'emmène au parc. Azariel n'était pas comme cela et il ne lui avait jamais demandé son aide. Si le Concile n'avait pas insisté pour lui coller aux basques, il ne lui aurait même pas adressé la parole. Au moins avait-il eu la décence de ne pas lui parler en langage angélique.

"Et perdre la trace de Justinien ? Si tu n'es pas capable de tenir la distance, pas la peine de me suivre, mon frère."

Le mépris dans ces derniers mots devait être évident puisque Roniel le dépassa après avoir rangé ses ailes pour examiner le corps. Azariel, lui, décida de continuer à s'intéresser à l'ordinateur. Il y avait ici de nombreuses informations sur une grande organisation criminelle. Et sur des tonnes de desserts au chocolat.

Le silence était total dans la maison. Pas d'enfant, pas d'épouse, à moins qu'elle ne soit dans une autre pièce, morte. Étrange ... est-ce que Justinien se sentait de devenir un justicier ? Il ne pouvait pas éliminer toute la crasse de l'humanité ... Pas à lui tout seul. Ils avaient déjà essayé, avec le déluge. Sauf que, bien sûr, Dieu avait poussé Noé à bout, ce qui l'avait rendu fou. Et cannibale. Quelle connerie.

"Où est-ce qu'on est ?"

Roniel avait relevé la tête vers lui et le regardait comme on regarde un politique véreux. Azariel réfléchit en contemplant un tapis de feuilles mortes dans le jardin. L'homme avait des traits asiatiques mais ça ne voulait rien dire. En 2017, aucun pays n'était plus homogène. Le paysage banal de banlieue ne voulait rien dire, non plus. Les massifs épineux et les bégonias qui s'alternaient sous le chêne du jardin ne lui indiquait rien sur leur localisation.

"Je n'en ai aucune foutue idée mais Justinien n'est plus là."


Un quart d'heure plus tard, Azariel avait fait le tour de la maison. Roniel avait passé un temps fou à activer le GPS de son smartphone et lui apprit finalement qu'ils n'étaient pas très loin de Séoul. Pour ce qu'il en avait à foutre ... Ils devaient surtout trouver une trace de Justinien. Il ne le sentait plus que faiblement. La maison puait la sauge, ce qui expliquait comment il avait effacé son signe vital.

Il allait s'envoler, de nouveau, quand un nouvel arrivant défonça la porte de derrière. Il ne les avait pas senti arriver, la sauge avait dû troubler ses sens. Stoppé dans son élan, Azariel regarda trois mecs baraqués pointer leurs canons sur lui. Roniel tenta de sortir son épée angélique mais il se prit une balle dans le crâne. Ouch ... A son âge peu avancé, le coup serait peut-être fatal. En tout cas, il mettrait une bonne quinzaine de jours à réparer son enveloppe charnelle.

Azariel leva les mains bien haut alors qu'un homme écartait l'un des trois gros bras pour venir coller le bout du canon de son revolver sur le front d'Azariel. Le nouveau venu était beau, pour un humain. Ses cheveux caramel ondulaient, sa peau était agréablement bronzée et son style vestimentaire était agréable à l'œil.

"Si tu ne veux pas finir comme ton ami, je te conseille fortement de me dire ce qu'il s'est passé ici et pourquoi mon père est mort."

Son coréen était fluide, sans accent. Un natif, sans doute. Il crachait ses mots comme on expulse une glaire. Azariel s'attendait presque à se faire vomir dessus. Il fit glisser son manteau sur ses épaules, étendit ses ailes pour plus de crédibilité et sourit doucement, répondant dans la même langue, avec un fort accent angélique.

"Je suis un ange et je pourchasse un tueur en série qui vient d'ajouter votre père a sa liste de chasse. Et ce n'était pas mon ami."

Trahison et Nouilles Sautées [Azariel - 1]Where stories live. Discover now