15 octobre

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Les choses s'accélèrent.

Ça fait cinq jours que je suis retenue ici. Cinq jours que je dors à peine. Mais je réfléchis beaucoup. Sur beaucoup de choses.

J'ai compris que des gens ont commencé à tomber malades. Je suis isolée ici, on ne me dit rien, mais les secours sont venus plusieurs fois au cours des derniers jours. Le virus responsable de cette maladie doit être le filovirus sur lequel je travaillais. On m'a encore posé des questions dessus. Notamment sur son évolution possible. L'évolution de ce virus dépendra de sa capacité à changer de cadre de lecture de son ARN. En clair, peut-être que le virus réussira à produire de nouvelles choses à partir de la même recette, peut-être pas. L'avenir seul nous dira ce qu'il en adviendra.

Maintenant, c'est Utrecht tout entier qui est en quarantaine. Le virus s'est donc propagé, malgré la réaction rapide des forces de l'ordre et des unités sanitaires. Il est très contagieux, c'est sûr. Je pense qu'il n'a pas fini de se répandre. Et si j'ai raison, une grande partie de la population va être touchée. J'espère que la contamination pourra être limitée par des mesures de sécurité.

J'ai vu certains élèves passer dans le couloir aujourd'hui. Ils m'ont reconnus, ont voulu venir me parler, mais un scaphandrier les en a empêchés. Tant pis. Les savoir en bonne santé m'a rassurée. Peut-être que cette maladie n'est pas aussi grave que je l'imaginais. J'ai beau essayer de me dire que ça ne peut pas être aussi grave que ça en a l'air, que la situation est sous contrôle, que la contamination sera limitée à Utrecht et les communes autour, j'ai l'impression que je suis sur un terrain glissant, une pente raide qui nous mène vers une catastrophe.

Les policiers savent plus de choses qu'ils ne veulent le laisser croire. Ils m'ont demandé si j'avais des relations extérieures à l'université, des amis proches, des connaissances récentes... Ils insinuent un peu trop que j'ai un complice. Ils m'énervent à croire que je suis coupable de ce qui arrive.

Ils m'ont laissé retourner au labo, ou plutôt ils m'y ont emmenée. Ils m'ont questionnée sur la place de chaque chose, le fonctionnement des appareils... Bien sûr, chaque fois que je rentre dans la pièce, je dois m'équiper, alors ils en profitent pour me demander si j'étais équipée de ma combinaison le 9, si je sais à qui appartiennent les autres combinaisons et si les autres chercheurs travaillaient sur les mêmes virus que moi. Je leur réponds, patiemment.

– Vous les connaissiez bien, vos collègues ? me demande l'inspecteur Van Hecke.

– Pas personnellement, lui dis-je en m'approchant de mes cultures.

– Pensez-vous qu'un d'eux aurait pu avoir des intentions criminelles ou...

– Quoi ?

Je me retourne brusquement. Maintenant, il insinue que c'est un de mes collègues qui aurait pu faire ça ? Il n'a qu'à accuser tout le monde dans cette école pendant qu'il y est ! Pourquoi pas les élèves aussi ! Il doit voir à ma tête que sa question me choque.

– Non, je n'accuse personne, mais je veux savoir...

– Vous n'accusez personne mais vous insinuez beaucoup de chose ! Ceux qui travaillent ici veulent aider à éradiquer des maladies ! On ne cherche pas à tuer des gens, contrairement à ce que vous pensez !

– Je ne pense pas ça...

– Ah bon ? Vous pouvez m'expliquer pourquoi vous me retenez dans cette salle de classe depuis cinq jours alors ? Vous devez bien penser que j'ai quelque chose à voir là-dedans, non ? Je vous signale que je suis venue ici pour un programme de recherche, pas un attentat !

Je lui lance un regard noir comme je sais si bien le faire et me retourne. Il faut que je me concentre sur autre chose, ce policier m'insupporte. Je voudrais bien lancer une nouvelle manip, mais c'est impossible. Avec les scaphandriers derrière moi, je ne peux rien faire. J'observe encore un peu mes petites cultures, toutes mignonnes et toutes sages.

Quelque chose me gêne. Il y a quelque chose de différent.

Soudain je comprends.

Mes cultures ont été déplacées ! Elles ont été bougées ! Je crois qu'il en manque une ! Merde ! Qui a fait ça ? Pourquoi ? C'est quoi ce bordel !

Il faut que je reste calme. Je souffle tranquillement, mais le policier a déjà remarqué quelque chose.

– Qu'est-ce qu'il y a ? Il y a un problème ?

Je secoue la tête. Il n'y a pas de problème, que des solutions. Pas de solution, pas de problème. Combien de fois me le suis-je répété ces derniers mois ? Je me le répète encore deux ou trois fois.  


U4 - CamilleWhere stories live. Discover now