4 décembre

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Il est tôt. Je suis menottée et menée dans un fourgon. Je suis assise entre deux militaires, qui ont leurs armes à portée de main. Je n'ose pas bouger. Je n'ose même plus trembler. Je respire lentement. Pour arrêter d'avoir peur. Mais j'ai le ventre tiraillé, les poumons compressés, tous les muscles contractés. Mon cœur bat vite. Calme-toi Camille. Ça va aller. Tu t'en es toujours sortie.

Maxime s'installe en face de moi. Je le regarde quelques instants avant de baisser les yeux.

On démarre. On sort de la ville. Il y a un hélicoptère qui nous suit. Notre fourgon est entouré par deux autres véhicules. Haute sécurité. Forcément, ils pensent qu'ils ont la responsable de la pandémie. Ils veulent la protéger. La faire passer devant les juges. La foutre en prison. La regarder crever.

Il faut que j'arrête d'y penser. Je ferme les yeux. Je me mords la langue le plus fort possible en pensant à cette chanson, que ma mère me récitait... C'était quoi les paroles ? Une espèce de langage lointain, venu certainement de l'autre côté de la mer Adriatique. Qui parlait d'une Grand-mère. Je me rappelle ça disait...

En écoutant,

J'ai vu de mes yeux,

Un combat courageux

Pour le sort de la liberté...

-

Ça y est. On est arrivé. Paris. Encore. Je sors du fourgon, toujours entourée par mes amis les combis. On m'emmène à travers des couloirs plus longs les uns que les autres. On s'arrête dans une salle. Il y a une douche et des vêtements posés sur une table. On me demande de me laver et de me changer. Je m'exécute. Une douche rapide. J'ai de nouveaux sous-vêtements piqués dans mes affaires et de nouveaux vêtements, piqués à quelqu'un d'autre.

On m'emmène dans une nouvelle salle. Une pièce sans fenêtre, une table, des chaises. Une salle d'interrogatoire avec une vitre sans tain. Avec de la moquette vieillie au sol. Et encore un micro. Et une caméra. Et des militaires pour me surveiller.

J'attends encore un bon moment. Je ne pense à rien. Je n'ai pas besoin de penser, à ce moment. Je suis calée dans le fond de ma chaise, je regarde la vitre sans tain, je respire doucement. J'attends.

La porte s'ouvre. Je ne me redresse même pas. Je regarde l'homme arriver. Attendez. Il n'a pas de combinaison NBC !

- Vous avez trouvé le vaccin !

Il s'assoit en face de moi en me regardant sévèrement. En fait, je préférais quand ils avaient leur combi. Au moins, je ne voyais pas leurs yeux m'accuser. Il lève un peu le menton, comme s'il voulait me prendre de haut.

- Comment saviez-vous que le MeninB-Par immunise contre U4, avant même que ce virus n'existe ?

Le MeninB-Par ? C'est quoi ça ? Depuis quand je suis immunisée ? Depuis le début je pensais que j'étais une sorte de porteur sain, que le virus était là, que j'étais infectée, mais que je n'avais pas les symptômes de la maladie ! Qu'est-ce qu'il raconte lui ?

- Ne faites pas comme si vous ne compreniez pas.

C'est embêtant, parce que je ne comprends vraiment pas ce qu'il veut dire... Je fronce les sourcils.

- Je ne sais même pas ce que c'est, ce vaccin !

- Pourtant vous vous êtes faite vaccinée, il y a six ans.

Il y a six ans ? Il y a six ans... Qu'est-ce que j'ai fait comme vaccin ? Il y a six ans... Ça y est ! Je sais !

- J'étais dans une école où plusieurs élèves ont été infectés par une méningite. On a conseillé à tous ceux qui fréquentaient l'établissement de se faire vacciner. J'ai préféré avoir le vaccin plutôt que la méningite !

Il me regarde comme si j'avais remis en cause le fait que la Terre soit ronde. Il prend un bloc note et un stylo et marque quelques mots.

- C'était quelle école ?

Il y a six ans, c'était ma dernière année de doctorat. J'avais des cours pour mon doctorat, mais j'en donnais aussi dans un lycée dans le 20ème qui avait besoin d'une prof de SVT de secours...

- Le lycée polyvalent Martin Nadaud.

Il hoche la tête. Ne me le dis pas, je sais que tu vas vérifier.

- Nous allons vérifier, vous savez ?

- Oui je sais ! Mais si vous vérifiez, vous verrez que je donnais des cours dans ce lycée pour payer mon doctorat et puis pour me payer à manger aussi.

- Vous avez un doctorat ?

Je n'aime pas le ton de sa voix.

- Oui, c'est ce que je viens de vous dire.

- Sous quelle identité ?

Je soupire. On y revient.

- Sous le nom de Camille Faussette ! Sinon je n'aurais jamais pu faire ce métier !

- Vous avez bien réussi à vous procurer de faux papiers lorsque vous aviez seize ans !

Il y a beaucoup de reproche dans sa voix. Beaucoup trop. Je me mords la langue pour ne pas m'énerver.

- Ecoutez, j'ai mon doctorat, tout comme mon master. J'ai travaillé dur pour avoir ces diplômes. J'ai travaillé jour et nuit pour pouvoir me payer tout ça. J'ai toujours tout fait pour avoir une vie. Une vie sans emmerde. Une vie loin de mes parents et de leurs histoires. Alors oui, j'ai pas toujours choisi la voie légale. Mais je me suis débrouillée comme je pouvais.

Il me regarde, comme s'il essayait de me transpercer, pour voir la vérité. Enfin, il veut voir une autre vérité. Il essaye de chercher une faille chez moi, quelque chose qui pourrait lui prouver que je suis la parfaite criminelle. Il veut me trouver un mobile. Ils ne leur manquent plus que ça : un mobile. Pour l'instant, ils n'ont trouvé aucune raison qui aurait pu me pousser à faire ça. Ça ne saurait tarder.

-

C'est le dernier repas de la journée. Mais je n'ai pas faim. Je reste couchée sur cette banquette en béton, je ressasse tout mon passé. Je cherche ce qu'ils pourraient trouver. Ce qu'ils pourraient retourner contre moi. Et je crois qu'il y a beaucoup, beaucoup de choses.

Mes parents, d'abord. Ils étaient dans la mafia tous les deux. Et même s'ils ne m'ont jamais parlé de leur passé mafieux, je sais qu'ils n'ont pas fait que des choses bien, même ici, en France. S'ils fouillent un peu, c'est sûr qu'ils vont trouver. On n'a pas changé de pays et d'identité pour rien. J'en suis certaine.

Mon adolescence à La Rochelle, ensuite. Les ventes de shit, d'herbes et autres douceurs. Je n'y touchais pas. Mais j'étais une négociatrice redoutable. Une véritable femme d'affaire. Je faisais mon argent de poche comme ça. Et ça m'occupait, aussi. J'avais mes clients habitués. Des élèves, des profs aussi, des parents, des grands-parents, des étudiants. Je trouvais toujours la meilleure qualité, au meilleur prix. Ce n'est pas que j'en suis fière, mais mon petit business marchait bien.

Il y a aussi le fait que je n'ai jamais été une pacifique. Alors ceux qui me faisaient chier le sentaient passer. Je ne me suis jamais laissé faire. Je n'avais pas de frère pour me défendre. Pas de père non plus. Je ne pouvais compter que sur moi. Et sur mes poings.

Et enfin, Paris. Quand on a seize ans, que l'on est seule dans une ville inconnue, on fait ce qu'on peut. Parfois, on fait des choses pas vraiment légales. Parce qu'on n'a pas le choix. Il faut bien manger. Avoir un toit, ce n'était pas un problème pour moi. Je me trouvais des squats d'artistes, des endroits abandonnés... J'arrivais à trouver des personnes prêtes à m'accueillir. J'ai passé des mois avec un collectif de street-artistes. Je leur ramenais de la beuh, je distrayais les flics pendant qu'ils peignaient. Et puis, ils m'ont poussé à reprendre mes études.

Sauf que je n'avais pas un sou, personne pour m'aider. Alors on trouve des petits jobs. Partout. Autant qu'on peut. Tout ce qui nous passe sous la main est bon à prendre. Légal ou pas.

Alors, oui. Ils ont beaucoup de choses pour m'inculper. Ils peuvent retourner les situations à leur avantage. Et si ce n'est pas à Paris, ce sera à La Haye.

U4 - CamilleWhere stories live. Discover now