Groupe quinze

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« Nolan, allez debout ! On est arrivé ! »

Dans le couloir, c'est une agitation comparable à celle qui animait la Centrale à notre départ. Des cris, toujours des cris, des discussions agitées. Mon mal de tête a disparu, j'offre un sourire complice à Sophie. Ce n'est que lorsque nous apercevons sur le quai de la gare une foule compacte que je me rends compte que nous n'avons pas eu le temps de parler de Bastien. Et que dans quelques minutes, il y a de fortes chances qu'on soit séparé par de nombreux bâtiments, des emplois du temps, par l'administration en somme. Rien ne dit que nous serons dans le même groupe. Je la retiens, lançant à Martin, Sven et Connor qu'on les rejoindra plus tard, une boule au ventre. Je la retiens, ferme sur nous deux les portes du compartiment.

« Ma mère m'a passé ça tout à l'heure. Quand nous étions à la Centrale. »

Je ne tourne pas autour du pot, ça ne servirait à rien. Je déplie le petit bout de papier. Mes doigts le défroissent avec nervosité, je ne sais pas du tout ce qu'il peut contenir mais je suis certain d'une chose : il était hors de question de le découvrir avant Sophie, sans Sophie. Je ne sais pas à quoi m'attendre, mes yeux cherchent ma meilleure amie avec angoisse.

« Ta mère ? Mais...

- Elle m'a dit de revenir aussi. Elle jouait un jeu. Depuis le début. Et je mettrai ma main à couper que mon père aussi, qu'on était véritablement sur écoute, que... »

Elle arque un sourcil. Explose de rire sans me laisser le temps de poursuivre sur ma lancée.

« Et c'est moi que tu traites de paranoïaque après ça ? Allez, lis ton foutu papier et on y va. Tu es trop tendu, Nolan ! »

Sans attendre, elle me l'arrache des mains et le défroisse à son tour par principe avant d'ouvrir la bouche pour articuler un mot. Qui ne sort pas, qui reste coincé dans sa gorge. Je fronce les sourcils, récupère l'objet de toute cette scène. 1605 disparais. Déconcerté, je regarde Sophie. Un nombre, un ordre ? Sophie résume parfaitement la situation en quelques mots :

« C'est quoi cette embrouille ?

- Aucune idée, mais... »

La porte du compartiment s'ouvre, je ferme précipitamment le poing sur le papier et prends Sophie dans mes bras. Il ne lui faut qu'une fraction de seconde pour comprendre et jouer le jeu alors que l'agent de sécurité venu nous déloger nous regarde, attendri. Un sourire, il nous intime d'un air contrit l'ordre de rejoindre rapidement les autres. On baisse le regard, se précipite à l'extérieur. Il faut que je me débarrasse du message de ma mère le plus vite possible, j'en ai la certitude. 1605. Une heure, une date ? Une quantité ? Un numéro ? Je regarde ma montre, nous approchons dix-sept heures. L'autre possibilité est que ce soit une date ce qui nous amènerait au seize mai. Mais dans ce cas-là, que signifierait l'ordre qui va avec, qu'est-ce qu'elle entend par disparaître ? Je me mords la lèvre, me fonds dans la foule qui s'amasse encore et encore, au fur et à mesure que les trains arrivent. D'un panneau, la main serrée dans celle de Sophie, je repère notre ville. Ils ont déjà commencé à nous appeler Martin a rejoint le groupe 21, son nom de famille le plaçant au tout début de l'alphabet.

Martin fait partie de mes plus vieux amis. On se connait depuis notre plus tendre enfance, nous étions voisins avant de déménager – et que je rencontre Sophie. C'est un de ces amis sur lequel je peux toujours compter mais qui a tendance à m'exaspérer dès que je suis plus de deux heures de suite dans la même pièce, avec ses manies, sa façon de s'exprimer et sa très légère arrogance. Débattre avec lui revient à avoir mal à la tête et envie de dormir pendant des jours, sans parler de vouloir le faire changer d'avis. Mais ce défaut est compensé par bien trop de qualités pour qu'on arrive à lui en vouloir. Je lui fais un clin d'œil, tente de repérer Sven et Connor.

« Nolan Sanders, groupe quinze »

Je relève la tête, cherche du regard mon nouveau numéro et dis au revoir à Sophie dans un murmure. Nous ne sommes que six pour le moment à attendre sous la banderole où s'entremêle le un et le cinq alors que certains groupes sont complets voire plus nombreux que la normale. Je me demande comment les groupes sont véritablement constitués parce qu'ils ne semblent souffrir d'aucune logique. Le hasard nous répond-on inlassablement lorsque quelqu'un s'hasarde à poser la question pour la dixième fois. Mais si les groupes sont faits au hasard, pourquoi ne pas les équilibrer ? Ça n'a aucun sens, je suis certain qu'il y a une véritable raison sous-jacente. Nos résultats scolaires ? Des affinités potentielles ? Je me m'aperçois que j'ai tendance à me poser bien trop de questions depuis hier et j'essaye de souffler.

Je reporte mon attention sur l'appel lorsque j'entends le nom de Sophie passer. Groupe quarante-trois. Plus éloigné que le mien, ce serait dur. Je soupire en m'asseyant à même le sol, conscient que nous avons une bonne heure devant nous avant que les deux ou trois cents noms ne soient énumérés, notre ville n'est que la première du canton, et la moins nombreuse. Je prends le temps d'observer ceux qui vont partager le même dortoir que moi. Je n'en connais aucun. Et bien... ce n'est qu'une question de temps : je décide d'aborder le plus proche de moi sans parvenir à savoir lequel choisir. En quelques mots je prends la mesure d'une chose : je ne suis définitivement pas normal. Parce qu'un peu plus tôt j'angoissais alors que le hall était bruyant de l'enthousiasme des autres et maintenant que je commence à être véritablement excité par ce que l'on vit, les autres semblent pétrifiés d'angoisse.

« Damien, enchanté ! »

Je sursaute et me tourne vers celui qui vient de parler, et d'arriver.

« Nolan, de même ! »

La glace est brisée, on commence à échanger nos impressions et nos hypothèses quant à la fin de la journée et surtout quant à ce qui nous attend demain.

« Tu penses qu'ils nous laisseront quelques jours avant que les cours commencent ? »


J'éclate de rire. André, qui vient de parler, est vraisemblablement le plus jeune de la bande puisqu'il a fêté ses seize ans il y a un mois à peine - il nous l'a affirmé presque immédiatement. Les cours, les activités extrascolaires, toute la discussion me replace l'ensemble du Centre dans son contexte, loin de mes inquiétudes, du message de ma mère et de la disparition de Bastien. Avant d'être le lieu où on va passer le Test, être catégorisé, devenir des adultes et potentiellement échouer, c'est une école. Un internat. Un complexe scolaire si grand qu'on ne peut en faire le tour à pied sans avoir quelques courbatures. On les voit d'ailleurs d'ici, les grandes tours qui vont nous héberger. Je reconnais les vues des photographies présentes dans le prospectus, je parviens même à trouver l'immeuble, puisqu'il n'y a pas d'autre mot possible pour le décrire, marqué des chiffres de treize à dix-huit . Je le désigne à Damien et André. Notre nouvelle maison de toute évidence. Pour l'année à venir.


Petit à petit, tous les noms sont appelés, les groupes grandissent, les différents trains débarquent et nous mélangent petit à petit à tous les inconnus de notre région. Je ne sais pas combien de villes sont rassemblées ici mais si je compte bien, les groupes sont complets jusqu'au numéro quarante-huit. La Justine croisée dans le train rejoint d'ailleurs le groupe quinze en sautillant et en discutant avec un brun râblé au visage constellé de taches de rousseur. Elle me fait un clin d'œil sans arrêter une seule fois de piailler d'une voix que je devine énergique aux mouvements de ses mains.


« Groupe quinze ? Suivez-moi. »



D'un des groupes les moins remplis lorsque je l'ai rejoint, le groupe quinze est devenu le plus imposant de la masse, avec pas moins d'une quarantaine d'élèves venus de presque tout autant de villes différentes. Damien et André, les premiers avec qui j'ai commencés à discuter, restent à côté de moi. Je tente de garder Sophie en visuel mais rapidement le groupe quarante-trois s'éloigne trop de la place et je suis contraint de me concentrer sur ma nouvelle classe. Classe. Groupe. Je commence à comprendre ce qui se joue réellement : nous sommes nombreux, très nombreux. Et déjà que retrouver mes amis promet d'être sportif alors comment même savoir où commencer à collecter des pistes concernant Bastien ? Demander aux enseignants dans quel groupe mon frère était me semble une très mauvaise idée, y aller à l'aveuglette ne m'en semble pas une meilleure.

Tu auras 24h - tome 1Where stories live. Discover now