Ma banlieue, ma prison (BxB)

VIII

J'étais à cran tout le cours d'histoire. Autant dire que je n'ai pas suivi une pichenette de ce que racontait le prof.
En lieu et place, j'avais morcelé sous la table ma gomme en milliers de petits bouts ; petits bouts que je jetais de manière aléatoire dans la classe, dès que le prof avait le dos tourné.

A ce moment-là, je ne pensais pas du tout au travail des agents qui allaient se taper le nettoyage de ma salle de classe ce soir. Et Dieu sait que j'aurais dû. Après tout c'était un peu le travail de ma mère. Dans son ancienne vie et dans sa nouvelle. L'esclavage moderne.

Non. Sur l'instant, je voulais juste me défouler. Juste me défouler pour oublier combien j'étais contrarié, combien j'étais énervé, combien j'étais frustré de mon début de journée.

                             *

La récré retentit et je me precipitai hors de la salle de cours, devalai l'escalier pour retrouver ma pote sur le parvis du lycée. Manque de pot, on n'avait pas atterri dans la même classe, cette année, alors qu'on avait passé tout le collège ensemble. La faute à son goût pour le latin et la faute à mon dégoût pour tout ce qui était scolaire.

_ Wesh ma gueule, lui lançai-je en l'apercevant au loin
_ Salut, mon choupi.
_ Ta gueule, connasse. Je t'ai déjà dit de pas m'appeler comme ça.
_ Je te taquine, mon coeur.
_ Gna gna gna.

Elle se nicha contre mon coeur et en retour, je la serrai fort contre moi. Christelle était une toute petite boule d'amour, toute rousse avec des tâches de rousseur. Elle était d'une grande gentillesse, faisait preuve d'une grande ouverture d'esprit et savait absolument tout de ma vie. Absolument tout. Même ce que je ne savais pas moi même.

Christelle m'attrapa la main, entrelaça  nos doigts et m'entraîna loin, sur la droite pour discuter tranquillement.

_ Alors mon choupi?
_ Bof, cet enfoiré de Patel m'a collé parce-que j'ai loupé le contrôle de maths ce matin.
_ Ah le crevard. Mais bon c'est pas comme si t'avais pas l'habitude.
_ Oh ça va, sur ma vie, t'es relou.
_ Bah c'est vrai, chéri. Si tu sechais pas les cours, tu serais pas collé.
_ Chris, stp. Arrête. Juste, me pète pas les couilles, t'as vu?
_ Non mais je sais, Nassim. Je m'inquiète juste pour toi.
_ J'ai pas séché en vrai. J'ai juste oublié de me réveiller. J'ai veillé tard hier. Je voulais être sûr que ma mère soit endormie et que le daron l'emmerde pas. Puis en vrai je savais même pas qu'on avait contrôle de maths. Être là et avoir deux m'aurait pas dérangé. Je m'en fous en vrai. Ce qui me gonfle c'est d'être collé et de louper le théâtre.
_ Ah merde, t'as demandé à Patel de te la décaler?
_ Il s'en branle, puis quelque part, vaut mieux que je sois collé quand ma mère pense que je suis en cours.
_ T'as prévenu la prof de théâtre? Elle pourra peut être convaincre Patel?
_ T'es ouf. Ce mec là est une barre de fer.
_ C'est clair, c'est une barre de fer mais avoue qu'il est méga sexy.
_ T'es niquée, ma parole.
_ Je ne répondrai pas à l'insinuation, salaud.

Elle avait réussi à m'apaiser. Ma boule d'amour était une magicienne. En deux trois conneries, elle arrivait à me remettre d'equerre.

_ En parlant de beauté ...

Je levai les yeux vers elle et suivit immédiatement son propre regard qui avait longé tout le parvis pour atterrir de l'autre côté de l'esplanade. Sur Grégory.

Grégory, le fantasme absolu de toutes les filles du lycée. Et le mien aussi.