Evy / Chapitre 13.

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-Ça va ? Tu t'es bien rincé l'œil ? Je lui fais avec une moue boudeuse.

-Pas assez à mon avis.

Il tapote le dessus du lit, pour m'inviter à ses côtés. Un tube de crème et des compresses sont posés près de lui.

-Allez, viens. Je ne te mangerai pas, enfin... pas tout de suite, ajoute-t-il en haussant un sourcil. Je veux vraiment te soigner. Et on va parler. C'est le moment idéal, non? Raconte ce que Lyons t'a fait.

J'évalue la distance entre nous, je peux me permettre de le titiller. Son regard est bloqué sur mes jambes dénudées.

-Pourquoi cela t'intéresse ? Tu feras quoi ? Tu me protégeras de lui, si je suis gentille avec toi ?

-Très, très gentille alors.

Son sourire en coin provoque une embardée dans mon rythme cardiaque. Il extirpe du tube une portion de gel et la dépose sur son doigt.

-Approche et tends la joue.

Je m'exécute, m'agenouillant et collant mon genou à sa jambe. Je me concentre sur ses gestes pour prévenir ses réactions. Il tend la main vers moi puis se reprend.

-Ce gel sert d'habitude pour mes articulations après un combat. Tu verras, il est très efficace.

Je sursaute, surprise par la différence de température entre ma peau et le gel qu'il étale avec application. Lentement et délicatement. C'est troublant. J'ai du mal à rester concentrée.

-Brûlure ?

-Ton « père », je fais en insistant de façon sarcastique. Il voulait mon nom.

-Et...

-Et je lui ai donné, bien sûr. Enfin, il l'a arraché de force.

Je l'entends presque grincer des dents. Il se retient de dire ce qu'il pense. Je dois le pousser encore un peu.

-C'est... c'était effrayant, je soupire en fermant les yeux.

Je grimage en laissant remonter les sentiments nés dans ce bureau. Je me mordille la lèvre inférieure et reprends en hésitant. Je le laisse apercevoir mes peurs.

-Il... il m'a giflée. Son homme de main m'a maintenue, je... il m'a presque étranglée pour me retenir. Je me suis débattue quand...

Je laisse en suspens ma phrase. J'attends qu'il réagisse tout en refoulant mes frayeurs. Elles veulent prendre le contrôle et un froid s'installe en moi.

-Quand quoi ? Il t'a fait quoi ? Me questionne-t-il, mordant à l'hameçon.

Sa voix est presque un grognement. Il réagit plus que je ne le pensais.

-Je... Il... il voulait me brûler avec son cigare.

L'image me revient, je recule et entame le geste de recouvrir la marque de la main. Mes doigts rencontrent les siens et j'ouvre les yeux. Ma respiration affolée se bloque dans ma gorge, nos regards entrent en collision.

Il s'est redressé et me fixe avec une telle intensité. Je me perds dans ses yeux et mes intentions sont oubliées. Je suis happée par sa présence. Je ressens tout.

La chaleur de sa peau au niveau de nos jambes qui se frôlent. Son souffle qui tombe sur moi, rapide et saccadé. Ses doigts retiennent les miens. Son regard me prend en otage, me refusant le droit de me noyer dans la tempête qui se déroule en moi.


Je devrais me détourner, me faire timide et hésitante. Je devrais ressentir comme à l'habitude, les prémisses de l'angoisse due à une présence masculine.

Je devrais...

Mais non, il y a ce courant entre nous, et seuls les souvenirs de sa bouche sur la mienne, ses mains sur ma peau envahissent mon esprit, refoulant dans le noir mes cauchemars.


Je m'arrache à sa vue pour descendre, malgré moi vers sa bouche. Si tentante, si experte. Je suis perdue, prise à mon propre piège.


Il brise le moment et me sauve en demandant :

-Il ne l'a pas fait ?

-Non, j'ai avoué avant.

Il semble soulagé. Il peut l'être, je m'en sors aujourd'hui mieux qu'il y a dix ans. Je ne dois pas oublier qu'il est responsable d'une partie des tourments que j'ai endurés. Il sait ce que c'est de brûler quelqu'un. Son inquiétude pour moi est bien jolie mais je ne pardonne pas. Il est toujours dans ma ligne de mire.

Je cligne des yeux pour empêcher des larmes de rage et de rancœur s'échapper. Je les ferme et il se met à soigner l'autre joue. Endroit sensible où se prépare le bleu du siècle.

-Ton vrai nom, je peux le savoir ? Tu sais bien que je finirai par le connaître de toute manière, reprend-il en me voyant réfléchir à sa demande.

Oh, c'est certain. Il pensera connaître ma véritable identité. Je le duperai comme son père. Je peux laisser sortir cette émotion, lui montrer ma rancœur.

-Langdon. Evy Langdon, je lui réponds avec une expression exaspérée et je tombe les épaules pour donner corps à ma comédie.

C'est difficile, refouler des sentiments, en simuler d'autres et faire l'impasse sur les sensations nouvelles qui apparaissent en moi.
Je sature. Rester là sans bouger, en lui répondant me fait presque mal. Je retiens mon corps, l'empêche de trembler.

-Chut..., respire, Lyons est loin, il ne peut rien te faire pour l'instant.

Il se trompe sur la source de mon désarroi. Tant mieux.


Je baisse la tête, prends une grande inspiration et lui débite d'une traite mon faux passé.

-Mon père, David Langdon, a eu de gros problèmes d'argent. Il le devait à Lyons. Quand on a tout perdu, on est parti de cette ville. Il a essayé de refaire sa vie, retrouver un boulot stable, pour ma mère, pour moi. Ça n'a pas marché. Il s'est suicidé.

-Pourquoi revenir ? Me demande-t-il en faisant pénétrer le gel.

Ses gestes sont lents, répétitifs, envoûtants même. Il veut me calmer par ses caresses, me faire raconter mon histoire. Père et fils ont un but commun, la connaissance. Avec des méthodes diamétralement opposées. Et Five est très doué.

-Pourquoi ? Je répète. Si je te le dis, qui m'assure que tu ne me vendras pas à ton père ?

-Allons, tu sais que je ne supporte pas Lyons et que tout ce qui peut lui nuire me convient. C'est la raison pour laquelle tu es entrée dans ma vie, non ?

Il est malin. Mais je l'ai amené où je voulais. C'est maintenant que tout se joue. Ses caresses sont descendues vers ma gorge, le temps semble s'arrêter.

-Faisons un deal, tu me dis ce que tu lui veux et je t'aide à y arriver.

-Hmm, et tu y gagnes quoi ?

-Le bonheur d'emmerder mon salopard de paternel sans qu'il puisse me le mettre sur le dos.

-Pour quelle raison ? Tu as peur ? Non, je reprends vite, tu n'es pas un peureux. Il te tient avec quelque chose ou quelqu'un.

Il s'est raidi et me semble sur le point de s'éloigner. Je pose une main sur sa cuisse. Il détourne la tête, le regard un instant perdu dans ses réflexions. Il pèse le pour et le contre. Va-t-il me donner un indice, me laisser une chance ?

-Il y a une personne à qui je tiens. Lyons la séquestre et la retient en otage pour me faire obéir, m'explique-t-il. Je fais ses quatre volontés et il me jette des miettes d'informations. Jusqu'à ce que je trouve où elle est, je Dois lui donner ce qu'il veut, quand il veut.

-Qui est-ce ? Qui, pour toi, pour accepter cette vie ?

-On n'est pas assez proche pour que je te le dise.

Son attitude change complètement. De pensif et attentif, il devient dans l'instant, prédateur et séducteur.
Il me pousse et je m'effondre en arrière sur le matelas. Five se place au-dessus de moi, les bras tendus et le sourire carnivore.

Et je suis devenue sa proie.


Five [Sous Contrat d'édition Hugo Poche. Sortie le 13 Juin 2019]Where stories live. Discover now