Le Vieux Charles reparaît ET disparaît pour toujours

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Depuis ce jour, Charles devint de plus en plus aimable, docile, attentif pour ses cousines, soigneux pour Juliette, exact à l’accompagner à l’église et dans ses promenades, sans négliger son travail et son catéchisme. Il fit sa première communion avec une ferveur qui pénétra le cœur de Juliette d’une grande reconnaissance envers le bon Dieu, et qui augmenta sa confiance en Charles et l’affection si vive qu’elle lui portait. Elle aimait d’autant plus les belles qualités qu’elle voyait grandir en lui, qu’elle aidait tous les jours et sans cesse à leur développement ; elle était donc bien tranquille sur les mérites de Charles mais rien n’est parfait en ce monde, et la sagesse de Charles n’empêcha pas quelques écarts, quelques violences, quelques sottises.
À la fin de l’hiver, la ferme fut enfin prête à les recevoir ; les arrangements intérieurs étaient terminés, la ferme se trouva suffisamment montée de bétail ; la basse-cour était assez considérable pour fournir d’œufs et de volailles, non seulement la ferme, mais une partie du village ; les vaches donnaient du lait et du beurre à tous les environs ; les moutons engraissaient pour le boucher après avoir donné quelques tontes de laine à leur ancien propriétaire.
Charles aurait bien voulu y passer ses journées, avec Marianne et Betty, qui y passaient toutes les leurs ; mais Juliette d’une part et ses études de l’autre ne lui laissaient pas beaucoup de liberté. Malgré ce vif désir de se transporter à la ferme avant qu’elle fût logeable, jamais il n’en laissa rien paraître à Juliette : pour elle, il domptait son caractère emporté, ses volontés ardentes ; et en le voyant assis tranquillement près d’elle, un livre à la main pour lui faire la lecture, ou bien tenant ses écheveaux de laine ou de fil pour l’aider à les dévider, on l’aurait pris pour un garçon tranquille, aimant le repos et l’étude, et n’ayant aucune volonté, aucun désir prononcé. Mais quand Juliette lui demandait de diriger leur promenade du côté de la ferme, l’empressement joyeux qu’il mettait à accéder à son désir lui faisait deviner la contrainte qu’il avait dû exercer sur lui-même. Aussi, toutes les fois que le temps le permettait, elle faisait toujours une ou deux visites à la ferme. Elle-même s’y trouvait plus agréablement que dans leur maison du bourg ; elle s’amusait à donner du pain aux moutons, du grain aux volailles ; à peine arrivée à la ferme, ses habitués l’entouraient de si près qu’elle s’y frayait difficilement un passage avec l’aide de Charles ; il la menait partout ; il ne lui faisait grâce ni de l’étable aux porcs, malgré l’odeur repoussante qui s’en exhalait, ni des tas de fumier que Donald soignait avec une affection particulière, et dont Charles voyait tous les jours augmenter la dimension. Et quand il se permettait d’en rire :
« C’est de l’or, ça, Monsieur Charles ! disait Donald en contemplant avec amour ces montagnes de fumier amassées par ses soins. C’est du fumier que nous vient l’or ! Le cochon qui se vautre sur le fumier se roule sur le sein de sa nourrice !
CHARLES, riant .
C’est trop fort, en vérité, Donald ! Je respecte votre fumier ; mais en faire une nourrice, c’est dégoûtant !
DONALD.
C’est pourtant la vérité, Monsieur Charles ; sans fumier, le cochon n’aurait ni orge, ni choux, ni pommes de terre, ni paille, rien enfin pour sa nourriture et pour son coucher. Et vous-même, que mangeriez-vous sans fumier ? Allez, Monsieur Charles, c’est le fumier qui est la richesse d’une ferme ! Engraisser votre terre, c’est engraisser votre bourse. »
Charles et Juliette riaient, mais approuvaient les principes de Donald. Chaque visite à la ferme apprenait quelque chose de nouveau à Charles ; Marianne devenait une vraie fermière ; Betty ne parlait que de basse-cour, volailles et laiterie. Chaque fois qu’on parlait cochons devant elle, un soupir profond s’exhalait de sa poitrine.
« Ah ! disait-elle, si Charles n’avait pas tué cette jolie truie que Donald avait obtenue avec tant de peine à la ferme Cedwin, quelles belles bêtes nous aurions ! que de petits cochons nous aurions déjà vendus ! Nous ne réparerons jamais cette perte-là. Tu n’as pas besoin de rire, Charles ! continua-t-elle d’un air indigné. En tuant cette truie, tu as perdu une fortune.
CHARLES.
Mais ce n’est pas ma faute si elle est morte, Betty ! Tu me dis toujours que je l’ai tuée !
BETTY.
Et qui donc ? Serait-ce moi, par hasard ? Vas-tu en accuser Donald à présent ? Ce pauvre Donald ! l’a-t-il assez pleurée, la pauvre bête ! »
Juliette faisait un signe à Charles, et Charles ne répondait pas ; il laissait tomber l’orage ; mais ce reproche revenait souvent, et souvent Charles dut appeler à son secours toute la force de sa volonté pour ne pas se mettre en colère.
Ils s’étaient tous transportés à la ferme depuis quelque temps, à la grande satisfaction de Charles et de Juliette, dont le seul ennui était les reproches un peu aigres de Betty, toujours au sujet de la truie.
Un jour qu’elle avait été plus tenace que d’habitude, et que Donald avait joint ses regrets à ceux de sa femme, Charles, prêt à éclater, sortit dans la cour pour chercher une distraction à sa colère ; il entra dans une écurie vide, et l’idée lui vint d’y mettre ses lapins. Il communiqua l’idée à Juliette, qui l’accueillit avec empressement ; ils retirèrent leurs huit lapins, très mal établis dans une vieille caisse, pour les transporter dans cette nouvelle demeure, que Charles surnomma
LE PALAIS DES LAPINS. Il s’y trouvait de la paille toute préparée, comme si l’écurie avait été habitée. Charles et Juliette y établirent les lapins et leur apportèrent des feuilles de choux et de carottes.
En s’en allant, Charles ôta la clef, qu’il mit dans sa poche.
« Attends-moi une minute, dit-il à Juliette, je cours porter la clef dans ma chambre, pour que Betty et Donald ne se mêlent pas de nos élèves : toi et moi, nous serons seuls à les soigner. »
Charles courut en effet jusqu’à sa chambre, aperçut en entrant le chat qui s’y trouvait renfermé, le poursuivit jusque dans la cuisine, ne songea plus à la clef, qui resta dans sa poche, et rejoignit Juliette. Ils allèrent dans les champs. Les récoltes commençaient à pousser et à verdir la plaine ; les pommiers et les poiriers étaient chargés de fleurs, la bonne odeur de cette verdure jeune et fraîche procurait une vive jouissance à Juliette ; elle se sentait gaie et remontée ; sa conversation avec Charles était plus animée que jamais ;
ils parlaient de leur avenir.
JULIETTE.
Quand tu seras grand, Charles, il faudra que tu te maries tu épouseras une bonne femme, bien robuste, qui sache faire marcher ta ferme.
CHARLES, riant .
Et qui au besoin puisse faire le coup de poing avec Betty.
JULIETTE, riant aussi.
Non, il te faut une femme forte, mais douce ; sans quoi elle se battrait avec toi, ce qui ne serait pas bien. Voyons, cherchons-en une.
CHARLES.
Pas encore, Juliette. laisse-moi donc grandir tranquillement. Je n’ai pas encore quinze ans !
JULIETTE.
C’est vrai ! Mais nous pouvons toujours voir dans celles que nous connaissons.
CHARLES.
Je ne connais personne ; je suis toujours à la maison ou à l’école.
JULIETTE.
Ni moi non plus, je ne connais personne ! Mais ne t’en inquiète pas ; nous demanderons à Marianne et à Betty.
CHARLES.
Je ne veux pas une femme du choix de Betty elle me ferait épouser une grosse vachère.
JULIETTE.
Mais quelle espèce de femme voudrais-tu avoir ?
CHARLES.
À présent, aucune ; mais plus tard je voudrai
une femme excellente.
JULIETTE.
Qu’appelles-tu excellente ? Excellente comme quoi ?
CHARLES.
Comme toi ; mais ce n’est pas tout. Je veux une femme robuste que rien ne fatigue, qui ne soit jamais malade ni souffrante.
JULIETTE, riant .
Pas comme moi, pour le coup.
CHARLES.
Non, pas comme toi, qui as sans cesse besoin de soins ; et c’est pour te soigner à mon aise que je veux avoir une femme vigoureuse ; mais je la veux jolie, agréable, grande comme toi, mince comme toi, et…
JULIETTE.
Mais si tu prends une femme mince comme moi, elle ne sera ni robuste ni vigoureuse. Je t’engage à choisir une femme comme Marianne.
CHARLES.
Non, Marianne est trop grande et trop forte.
CHARLES.
Ah bah ! Tu ne sais ce que tu veux. Au fait, tu es encore trop jeune pour savoir ce qu’il te faut ; mais quand tu auras vingt-deux ou vingt-trois ans, laisse-nous faire, Marianne et moi ; je te réponds que tu auras une femme admirable ; car nous serons difficiles pour toi.
CHARLES.
C’est bien ; c’est convenu. Quand je serai grand, vous me présenterez ma femme. En attendant, si tu t’asseyais au pied de ce pommier en fleurs, pendant que je grimperais dessus pour enlever du gui qui fait mourir les branches ?
JULIETTE.
Je ne demande pas mieux ; mais ne va pas tomber sur moi quand tu seras là-haut. »
Juliette s’assit, Charles grimpa comme un chat jusqu’aux branches qu’il voulait débarrasser du gui qui tes obstruait, fit très habilement son travail, et descendit aussi lestement qu’il était monté. Il ne s’aperçut pas qu’un objet assez volumineux tombait de sa poche, et que cet objet était la clef du palais des lapins.
Il reprit avec Juliette le chemin de la ferme ; la conversation ne tarit pas plus en revenant qu’en allant. Charles la termina en disant qu’« ils étaient plus heureux que tous les rois de la terre ».
« Je le crois bien, dit Juliette : les rois et les princes sont les plus malheureux êtres de leurs royaumes.
CHARLES.
C’est beaucoup dire ; ils sont ennuyés et contrariés souvent, mais ils ne sont pas malheureux.
JULIETTE, avec véhémence.
Pas malheureux ! Contrariés du matin au soir dans leurs goûts, dans leurs affections, dans leurs volontés ! Quand ils sont enfants et jeunes, ils se promènent seuls, ils jouent seuls ; ils ne sortent qu’en voiture ; ils sont gênés dans leurs habits élégants ; ils saluent à droite et à gauche sans arrêter ; ils sont séparés de leurs parents, qu’ils voient à peine ; on leur donne des gouverneurs sévères, qui ne les soignent que parce qu’on les paye et non pas par affection ; ils n’ont jamais d’amis ; et quand ils sont grands, c’est bien pis ! Un pauvre roi qui ne peut aimer personne, de peur d’être aimé par intérêt ; un roi que personne n’aime, parce que tout le monde en a peur ; dont chacun peut dire et inventer du mal, sans qu’il puisse se défendre ; qui ne peut avoir aucune liberté, pas même celle de promener sa femme dans les champs et d’élever lui-même ses enfants !
CHARLES.
C’est vrai ! Tu as raison ; j’aime cent fois mieux ma veste ou ma blouse que les brillants uniformes des rois ; mon dîner de deux plats mangés gaiement avec ceux que j’aime, que les repas exquis en compagnie d’ennemis ou d’indifférents ; et ainsi de tout. Si j’étais roi, je n’aurais pas pu grimper à l’arbre tout à l’heure.
JULIETTE.
Ni avoir des lapins et les élever.
CHARLES.
Ni aller en carriole avec Donald.
CHARLES.
Ni déchirer tes habits dans les ronces.
CHARLES.
Ni te cueillir des fraises dans les bois, ni te mener promener tous les jours, te soigner, t’aimer enfin ; car on n’aime pas bien les gens quand
on ne fait rien pour eux.
JULIETTE.
Tu as bien raison, et c’est pourquoi nous allons donner à manger à nos lapins. As-tu la clef ?
CHARLES.
Non, elle est dans ma chambre ; je vais l’apporter. »
Charles disparut, et fut longtemps à revenir ; Juliette s’étonnait de sa longue absence, lorsqu’elle l’entendit arriver, mais à pas lents et en silence.
JULIETTE.
Qu’y a-t-il, Charles ? Pourquoi as-tu été si longtemps à apporter la clef ?… Pourquoi ne partes-tu pas ?… Qu’as-tu, Charles ?
CHARLES, en colère.
Je crois bien! Ce méchant Donald ou sa mauvaise femme ont emporté la clef des lapins.
JULIETTE.
Dis-leur de te la rendre ! C’est fort ennuyeux !
CHARLES, de même.
Je crois bien que c’est ennuyeux ! Ces gens-là sont insupportables et quand je serai le maître, je les chasserai de chez moi !
JULIETTE.
Voyons, voyons, mon ami, ne t’emporte pas pour si peu de chose.
CHARLES, de plus en plus irrité .
Peu de chose ! C’est une impertinence incroyable ! Venir m’enlever la clef de mes lapins, jusque dans ma chambre ! Est-ce que je ne suis pas le maître chez moi ? Suis-je obligé de les laisser s’emparer de tout, comme si la ferme était à eux ?
Mais je vais leur parler vertement, et s’ils ne sont pas contents, ils s’en iront.
JULIETTE.
Charles, tu sais bien que ces pauvres gens t’aiment, te sont attachés, se tuent au service de ta ferme. Pourquoi parler d’eux de cette façon ? Et comment sais-tu que ce sont eux qui ont pris cette clef ?
CHARLES.
Et qui veux-tu que ce soit ? Ce n’est certainement pas Minet.
JULIETTE.
Tu as peut-être mal cherché ?
CHARLES.
J’ai cherché partout ; j’ai mis assez de temps, puisque tu as même été inquiète.
JULIETTE.
Mais où sont-ils ?
CHARLES.
Est-ce que je sais, moi ! Ils sont toujours à courir.
JULIETTE.
S’ils courent, c’est pour ton service car ils travaillent tant qu’il fait jour. »
Charles commençait à se calmer et à être un peu honteux de son emportement, lorsque Donald accourut :
« Ah ! vous voilà, Monsieur Charles et Mademoiselle Juliette ! Je vous ai cherchés partout pour vous demander si c’était vous qui aviez la clef de l’écurie de mes poulains. Je les fais coucher là dedans depuis deux jours, parce que les nuits sont encore un peu froides. Il faut que je leur fasse leur litière pour la nuit, et voilà le jour qui s’avance !
CHARLES.
Vous savez bien que ce n’est pas moi qui ai cette clef. Je l’avais, il est vrai, mais vous ou Betty vous me l’avez prise.
DONALD.
Ah ! Betty, je n’en sais rien ; mais moi ! pourquoi que je vous la demanderais si je l’avais ?
CHARLES.
Pour me faire enrager ! Parce que vous voulez tout accaparer pour vous et pour vos bêtes, tandis que moi, qui suis le maître, je suis obligé d’avoir mes lapins dans une vieille caisse ; et comme vous êtes jaloux de les voir bien logés dans l’écurie, vous m’avez repris la clef dans ma chambre, et vous faites semblant de ne pas la trouver. Mais je ne suis pas votre dupe, et je trouve fort impertinent de me jouer des tours pareils.
DONALD.
Sapristi ! Monsieur Charles, si vous étiez mon garçon, je vous donnerais du poing dans la figure, pour vous apprendre à avoir de telles idées sur un honnête homme comme moi. C’est-y là votre profit ? C’est-y moi qui empoche l’argent que je retire de vos terres ? Et c’est-y pour moi que je cours depuis une demi-heure après vous, pour avoir cette satanée clef que vous me refusez ? Allez, Monsieur Charles ! ce que vous faites là, c’est ingrat, c’est malin. Et si n’était que de moi, je vous planterais là avec vos bêtes, et je m’en irais ailleurs ; mais c’est Betty qui est sotte pour ça, et qui pleurerait tout le long du jour si elle vous quittait ; et comme ça me ferait mal de la chagriner,… ma foi, je reste. »
Charles avait passé plusieurs fois de la colère à la honte et au regret, pendant que Donald parlait. La dernière assurance de rattachement de Betty le toucha vivement et lui fit sentir toute son injustice et, comme disait Donald, son ingratitude. Malgré le combat de son orgueil il alla à Donald et s’écria :
« Mon bon Donald, vous avez raison ; je suis un ingrat ! Je méconnais votre dévouement à mes intérêts je vous accuse sottement sans aucun motif, et je vous fais de la peine au lieu de vous remercier. Mon bon Donald, pardonnez-moi ; je suis jeune je me corrigerai, je l’espère, de ma vivacité, et je ne commettrai plus d’injustice à votre égard.
DONALD.
Bien, Monsieur Charles, n’en parlons plus ! Je ne suis pas rancunier de ma nature. C’est bien, ce que vous faites là. Vous avez eu de la peine à y arriver ; mais… vous n’en aurez pas de regret : c’est moi qui vous le dis. De cette affaire-là j’ai plus de cœur que jamais à votre service… Mais comment allons-nous faire pour cette clef ? où la trouver ?
CHARLES.
Et mes pauvres lapins qui sont enfermés et qui
ont faim !
DONALD.
Ce n’est pas ça qui est le pire. C’est pour coucher mes poulains !
— Hé ! Donald ! cria Betty qui arrivait des champs. Vois donc ce que j’ai trouvé ! C’est toi qui l’auras perdue, bien sûr, en enlevant le gui des arbres. »
Et Betty, approchant, lui remit la clef… du palais des lapins.
DONALD.
Où as-tu trouvé ça ?
BETTY.
Au pied du pommier, près des betteraves ; tu sais bien ce pommier qui avait tant de gui sur les branches, et que tu viens de dégager.
DONALD.
Je n’y ai pas touché aujourd’hui. »
Juliette, qui s’était approchée de Charles, lui serra la main.
« Tu vois ! » lui dit-elle à voix basse.
Charles rougit beaucoup et dit avec hésitation :
« C’est moi, Betty ! c’est moi qui ai enlevé le gui. Je vois bien ce que c’est maintenant : j’ai oublié la clef dans ma poche au lieu de…
— Quelle clef ? interrompit Betty. Pas celle-ci, toujours, qui est à Donald. »
Charles allait tout avouer, lorsque Donald le regarda, sourit, mit un doigt sur sa bouche et dit :
DONALD.
Mais sans doute ! C’est la mienne ; donne vite,
viens m’aider à la litière.
BETTY, étonnée .
Qu’est-ce qu’il y a donc ? Pourquoi ris-tu, toi ? Qu’est-ce que j’ai dit de risible ?
DONALD.
Rien du tout, je te dis. Viens vite, il se fait tard. »
Charles et Juliette restèrent seuls. Charles avait l’air pensif.
JULIETTE.
Eh bien, mon ami ? Tu vois la bonté, l’attachement de ce pauvre homme !
CHARLES, avec feu.
Dis la générosité, la noblesse d’âme ! Cet excellent Donald, il ne veut même pas laisser connaître mon injustice à sa femme ! Il craint de me faire rougir de moi-même devant elle ! Que puis-je faire pour le récompenser, pour le remercier ?
JULIETTE, lui serrant les mains avec affection.
Rien que de l’aimer, mon bon Charles, et lui témoigner l’estime que tu fais de lui ; crois-tu qu’un dévouement comme celui dont il a fait preuve puisse être payé par des présents ? Non, non ; de bonnes et amicales paroles, une grande confiance, de l’amitié enfin, est la seule récompense digne de lui.
CHARLES.
Tu as raison comme toujours, Juliette ; ma pauvre Juliette, comme tu as dû rougir de moi !
JULIETTE.
J’ai souffert pour toi, Charles, parce que je prévoyais ton repentir. Mais, ajouta-t-elle plus gaiement, puisque te voilà pardonné, ne parlons plus du passé et allons voir si Marianne n’a pas besoin d’être aidée pour sa laiterie ou sa volaille. »
Ni Marianne ni Betty ne surent rien de cette petite scène ; mais Charles n’en perdit pas le souvenir, et depuis ce jour il traita Donald avec une amitié, une confiance dont ce brave homme fut touché et qu’il paya par un redoublement de zèle et d’empressement.

Un Bon Petit DiableWhere stories live. Discover now