J'observe Victoria sortir et se frayer un chemin parmi la foule en jouant des hanches. Je souffle un bon coup et recule sur mon repose-tête où je prends appui en détaillant d'un regard lointain le spectacle que j'ai sous les yeux. C'est digne des films les plus clichés. Une tonne d'adolescents à moitié ivres qui se pavanent avec des gros gobelets rouges et qui ne pensent certainement qu'à une chose : copuler.
Je passe mon tour et m'arme de mon téléphone portable, bien décidée à ne pas rentrer dans cette maison où je suis presque sûre qu'une orgie s'y déroule. Je n'ai pas pensé à amener un livre et je le regrette en constatant qu'il ne me reste plus beaucoup de batterie : mon coup de téléphone à Dan a passablement usé mon portable.
Je me mordille la lèvre inférieure, hésitante, tout en fixant à nouveau le domicile. Je ne sais pas chez qui cette fête est donnée mais qui que ce soit, c'est une famille fortunée qui doit avoir un intérieur intéressant. Peut-être même une bibliothèque ? C'est osé, stupide et inconscient compte tenu de la fréquentation des lieux mais je finis par sortir de ma voiture. Dieu seul sait combien de temps va mettre Victoria pour s'alcooliser et que je puisse la ramener et j'ai fichtrement besoin de m'occuper.
Pourtant, je ne bouge pas. Parce que je ne veux pas pénétrer dans cette maison. La bâtisse est superbe mais à mes yeux, c'est comme rentrer dans l'antre du Diable – non pas que je sois croyante. J'ai peur d'y perdre quelque chose d'important en y rentrant. D'être différente. C'est étrange mais j'ai l'impression que n'importe qui est changé après avoir été à une splendide fête étudiante ; les gens y deviennent accros et je ne veux pas me transformer en Victoria. C'est stupide. Je suis stupide.
Alors je soupire et sors de la voiture. J'ai besoin d'air et je sais que si je passe la soirée assise dans ma voiture, je vais devenir folle. Autant je peux rester des heures sans bouger dans ma chambre, autant dans mon automobile, j'ai plus de difficulté. J'ai eu l'intelligence de me garer le plus loin possible de l'entrée et surtout à une place tout près de l'orée des sous-bois du domaine. Le lac, calme, s'étend à quelques mètres de moi. Je m'assois sur le capot de mon vieille 4x4 Ford Branco qui date des années 80. C'est un vieux coucou que j'ai hérité de mon père, qui est rouillé à droite et à gauche et qui possède une couleur vert pastel. Pour beaucoup, c'est un taudis. Pour moi, c'est une merveille. Le moteur crache pas mal, les fenêtres sont impossibles à descendre et la radio ne marche pas. Mais ça m'est égal. Quand j'ai eu 16 ans, c'était mon ticket pour la liberté et j'ai toujours su en prendre grand soin. Cette voiture est capricieuse mais une fois domptée, elle est agréable à conduire.
Les jambes pendantes, j'observe la Lune se refléter dans les eaux sombres de l'étang. La soirée est douce, il y a une brise de vent qui rafraichit la température mais ce n'est pas désagréable ; au moins, on peut respirer. C'est un temps propice à une belle soirée d'été. J'essaye de faire abstraction des rires lointains et de la musique électro qui me broie les tympans en imaginant comment se serait déroulé ma soirée si Meryl et Dan avaient été avec moi. Peut-être que nous serions allés à la plage ou au Mama's Rocket, un lieu chargé de souvenirs qui date des années 60 et où on sert le meilleur Milkshake de toute la ville. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que je n'aurais jamais imaginé passer la soirée ici.
Et même si l'endroit semble paisible, la tempête n'est jamais loin.
Je vois l'eau trembloter et des vaguelettes plus denses s'écrasent avec un clapotis rapide tout en léchant la terre avec vigueur. En redressant la tête, je remarque deux ombres enlacées, à quelques mètres de moi, les pieds dans l'eau. Sans nul doute un homme et une femme. Ils rigolent, s'embrassent et parlent tout bas en ignorant ma présence. Je suis collée contre ma voiture et l'obscurité les empêche de me voir – ça en plus de l'énorme arbre sous lequel j'ai garé mon véhicule. Mal à l'aise, j'essaye de me baisser pour rejoindre ma banquette et éviter de passer pour une voyeuse. Mais leurs chuchotements m'arrêtent quand j'arrive à entendre le prénom d'Arès et de Victoria dans la même phrase. Je tends l'oreille, plus commère que je ne dois l'être :
VOUS LISEZ
A THOUSAND SUNS - TOME 1.
Teen Fiction« It's the story of the Sun that fell in love with the Moon » -☽ - Mercure, 17 ans, passe la fin de son été avec sa famille avant sa rentrée à l'université. Isolée de ses amis et devant supporter son agaçante belle-soeur Victoria, elle fait un jou...