Chapitre 1: l'éveil

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"C'est ce rayonnement diffus, qui ne vient de nulle part, qui a donné son nom à ce type de brouillard. Le refroidissement provoque d'abord de la rosée, puis il se transmet aux couches d'air proches du sol. Lorsque l'humidité et le froid sont suffisants, il y a saturation de l'air. La vapeur d'eau se condense finalement en fines gouttelettes : Ainsi se forme la Brume"

Extrait du livre des Origines, Chapitre 1.

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Je ne sais pas ce qui m'a réveillée en sursaut, mais je sens la panique envahir chacune de mes terminaisons nerveuses. Tout est pourtant normal. La lumière qui entre doucement dans ma chambre. Le bruit plus qu'agaçant que fait le moustique que je n'ai pas réussi à chasser hier soir, et qui, sournoisement, vient voler près de mon oreille. L'odeur du basilic qui se fait sentir dans toute la pièce. Contrairement aux autres filles qui préfèrent orner leur balcon de géraniums où d'autres plantes un peu plus exotiques, j'ai fait du mien un minuscule jardin rempli d'herbes aromatiques : Basilic, thym, menthe poivrée. Comme toutes les autres jeunes filles du Gynécée, je n'ai qu'un minuscule balcon. Nous avons toutes la même petite chambre. Les poutres en bois massif, les portes en arches et les murs en pierre blanche nous rappellent que le Gynécée était auparavant un monastère. Le comble de l'ironie, c'est qu'il était interdit aux femmes, les résidents étaient tous des hommes. Aujourd'hui seules des femmes y résident et aucun homme n'a le droit d'y pénétrer. Cette chambre a été mon lieu de vie pendant les quatre dernières années. Cela changera le jour de mon mariage. Et soudain je me rappelle ce qui m'a réveillée en sursaut. Dans mon demi sommeil, mon cerveau a jugé bon de m'avertir que la fête pour mes fiançailles se déroule ce soir. Et je suis soudain prise d'une violente nausée. Je parviens à me traîner tant bien que mal jusqu'à la fenêtre et pousse les persiennes. Le soleil me réchauffe tandis que j'essaie de faire redescendre mon rythme cardiaque . Mon cœur refuse de se calmer au début, mais au bout de quelques minutes, je sens qu'il reprend un rythme normal. Je me traîne sous la douche, ou l'eau achève de dissoudre les dernières traces de mon cauchemar.

La première fois que j'ai rencontré Kyrrth, mon...fiancé...(c'est ce qu'il est après tout, même si j'ai du mal à me le représenter ainsi) je devais avoir huit ans. Je sautillais dans la cour de l'école. Au milieu de la cour de notre école il y avait un grand arbre, un peu tordu. Un seul et unique grand arbre et Kyrrth passait ses récréations assis en dessous, seul. Ses cheveux bruns étaient déjà trop longs, et cachaient son nez brusque et ses yeux trop noirs. Les enfants faisaient un détour pour éviter l'arbre de Kyrrth. Il effrayait les plus jeunes et dégoûtait ceux de son âge. Il paraît que toutes les écoles ont un paria. Si c'est vrai, Kyrrth était le nôtre. Moi j'étais trop petite et trop brune pour être remarquée. Je me rappelle qu'il ne cessait jamais de lire. Caché derrière son arbre. Et puis un jour Thomas, notre leader, le père de Kyrrth est passé visiter l'école. Tandis que le directeur et les enseignants rivalisaient de politesses et de flatteries, Thomas l'a vu au loin, adossé à son arbre. Il a demandé au directeur si son fils décollait parfois de cet arbre. Le directeur s'en est sorti par une pirouette, mais on voyait que Thomas n'était pas dupe.

Le lendemain matin, quand nous sommes entrés dans la cour, nous avons stoppé net. Pendant la nuit, l'arbre avait été abattu. Kyrrth s'est penché sur le trou que les immenses racines de l'arbre avaient laissé. Il semblait vouloir y plonger. Par réflexe, je me suis avancée vers lui et je lui ai attrapé la main. Il l'a serrée. Après quelques secondes, Nos enseignants nous ont fait rentrer en classe, Kyrrth m'a lâché la main, s'est dirigé vers sa classe, et les chuchotis se sont tus. La dernière image que je garde de cette journée, c'est celle de Kyrrth, penché sur ce qui avait été son arbre, le bord des paupières rougies.

Je ne sais pas pourquoi je repense à ça maintenant. L'odeur de mes plantes le jour de mes fiançailles avec cet homme que je n'aime pas, que je ne connais pas plus maintenant que je ne le connaissais à l'époque, sans doute. Je me suis toujours demandé pourquoi Thomas m'avait choisie moi, pour épouser son fils. J'y avais souvent réfléchi et j'en étais parvenue à la conclusion que c'était parce que j'étais, comme ma mère, passée maître dans le fait de me faire oublier. J'étais douce, malléable, silencieuse, et pas un trop mauvais parti car j'étais la fille du Haut Juge. Ces raisons, mises toutes ensemble, devaient lui sembler suffisantes. La cloche annonça huit heures. Huit coups. A chaque coup il me semblait que c'était un clou de plus que l'on enfonçait dans mon cercueil.

House of the rising Sun -tome 1- La SentinelleWhere stories live. Discover now