Mia

27 3 0
                                    

Ce jour était enfin venu. La pâleur de l'hiver laissait place aux embruns marins et à la chaleur naissante du printemps. Les cheveux au vent, elle se laissait marcher le long des dunes, dans ses pensées un peu floutées par l'alcool qu'elle avait bu la veille. Elle se rappelait le bain de minuit dans les courants froids de l'Atlantique et la chaleur du corps de celui qui l'avait prise par les hanches. Son visage ne lui revenait pas, juste le goût de ses lèvres lui restait comme souvenir de cette fougueuse nuit. Elle s'appelait Mia, elle n'avait aucun repères, juste quelques traces qu'elle laissait dans le cœur des hommes. Elle était frivole, paresseuse, poétique et charmeuse. Elle s'attachait peu aux gens et à la vie elle-même. Elle avait peur, ses peurs la rendaient folle, elle suffoquait dans ses larmes tard la nuit. Elle avait longtemps cherché un but mais en vain, alors elle marchait le long de l'océan, scrutant l'horizon comme s'il allait lui apporter une réponse. Rien ne lui semblait familier ici, elle déambulait, plongeant ses orteils dans le sable fin. Elle habitait dans une maison, à quelques pas des plages. Elle y jouait du piano, doucement, très tôt le matin. Elle aimait la musique, laissant parfois échapper des mélodies de sa bouche. Elle n'avait pas d'amis, du moins c'est ce qu'elle disait. Elle parlait seule, ou à elle-même. Elle se disait "Mia, que fais-tu ici ? Pourquoi es-tu ici ?". Elle n'avait pas de réponses, elle n'avait pas de famille. Et pourtant elle se souvenait de l'odeur de cet homme qui l'avait déshabillé sous la Lune et qui avait embrassé son corps après lui avoir fait l'amour sur les dunes. Elle était belle, d'une beauté naturelle qui aurait fait tomber amoureux n'importe qui. À l'intérieur aussi, elle était belle. Elle était fragile, d'une fragilité déconcertante. Elle se disait complexe et inapprivoisable. Si on la touchait, on avait peur qu'elle se brise. Son âme était déjà cassée de l'intérieur, abîmée par les autres. Elle n'avait pas confiance en elle, elle avait tout le temps froid. Son cœur était vide d'émotions, son âme elle-même était froide. Elle pensait qu'elle se laisserait mourir à petits feux. Elle avait la conviction que tout n'était qu'illusoire, que sa souffrance s'estomperait. Malgré tout, elle continuait de marcher, pieds nus, dans les hautes herbes de dunes de sable. Elle lisait beaucoup, se baignait nue et se laissait sécher au soleil pendant des heures. Pourtant, elle était pâle comme la neige, elle avait le teint d'une morte comme si sa peau montrait qu'elle était déjà morte de l'intérieur. Elle ne voulait pas d'aide mais criait au secours. Elle criait dans ses sanglots et implorait le ciel. Elle demandait qu'on lui rende sa vie. Elle disait que sa vie s'était enfuie depuis tant d'années. Elle ne se rappelait plus du son d'un rire, ni de son enfance. Elle se demandait si elle avait même vécu un jour. Elle priait qu'on la rende vivante ou alors qu'on abrège ses souffrances. Elle était comme un vieux jouet abandonné, comme une cigarette qu'on écrase après l'avoir utilisée. Elle avait mal, son cœur la tiraillait. Elle criait des choses incompréhensibles, s'étouffant dans ses draps. Elle mangeait peu, très peu, trop peu. Elle attendait le soleil mais sa vie n'était qu'un ciel orageux duquel coulait les lentes larmes. Elle aimait le violon, elle aurait voulu devenir célèbre mais elle ne s'en était pas donné les moyens. Elle ne faisait aucun efforts car rien ne lui importait. La vie lui coulait à travers les mains comme le temps dans le sablier. Elle marchait, elle passait à côté de sa vie mais elle s'en foutait. Elle s'en foutait car cette vie là ne lui convenait pas. Elle rêvait d'une mort indolore, de ne plus se réveiller. Mais elle rêvait surtout de lui et se réveillait, transpirante. Elle se faisait du mal, elle s'autodétruisait comme si tout ce qu'il y avait autour d'elle ne lui faisait déjà pas assez mal. Elle n'avait même plus la force de se regarder dans un miroir. Elle était fatiguée et détruite. Elle se sentait de trop, surtout pour elle-même, devenue accro à la douleur qu'elle portait en elle. Elle restait en vie, faute de savoir partir, son cœur et ses pensées en miettes. Elle n'avait qu'un seul souhait. Elle aurait voulu que l'homme de minuit revienne. Elle souhaitait simplement que la vie ne lui ait pas enlevé son amour. Elle était étrangère à sa propre vie. Elle ne savait plus comment faire. Elle marchait, espérant croiser l'homme qui l'avait rendue un jour heureuse. Elle espérait encore entendre ses pas, revoir les traits de son visage mais tout ce qu'il lui restait de lui était dur comme son cœur. Il ne lui restait que des pierres, abritant le corps de son amour perdu. Elle avait perdu un amour, elle avait perdu son amour. Elle avait vu la mort, elle avait connu la mort et la mort s'était emparée de lui. Son amour était mort. Sa vie est morte avec, emportée dans la tombe. Elle marchait toujours dans la même direction. Elle marchait tous les jours vers le cimetière de son amour, cimetière de sa vie où son cœur arraché n'était plus qu'un lambeau de peau déchiré. Elle marchait, les yeux dans le vide, et le vide dans son cœur. Elle allait voir, gravé, le nom de celui qu'il l'avait rendue vivante mais qui avait fait d'elle une vivante presque morte. Elle avait les yeux cernés et était difficile à cerner. Elle oubliait certaines choses, sa mémoire rongée par la tristesse. Elle avait oublié les ballades en forêt, les voyages en sac à dos, la vie d'amoureuse, et la chaleur d'un corps étranger au sien. Elle errait sur la Terre, et réalisait que rien, plus rien ne pourrait la rendre heureuse. Elle relisait les lettres d'amour, sentait encore les roses séchées depuis toutes ces années. Elle n'arrivait pas à l'oublier, lui qui l'avait laissée seule. Elle ne pourrait jamais s'en sortir seule. Démunie, elle marchait dans le sable, elle se laissait s'enfoncer dans le sable en pensant peut-être qu'elle rejoindrait un jour celui qu'elle aimait encore. Il lui arrivait de parler à l'océan, de lui raconter ses peines, de partager ses sanglots qui se mélangeaient à l'écume.

Mais encore ?Where stories live. Discover now