04 - axelle

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Ce soir là, après mon (ennuyeux) cours de violon je rentrais chez moi, comme d'habitude, en traînant des pieds. Ma mère était assise dans le canapé du salon entrain de lire je ne savais-quel-livre-de-psychologie-chiant. 

Même si je n'en avait pas spécialement l'air, j'étais plutôt contente, fatiguée, certes, mais contente. Déjà parce que j'avais fermé, tout en finesse, la gueule de l'autre blondasse. Et puis surtout parce que Thomas. Juste Thomas. Je ne savais pas trop ce que j'avais avec ce gars: il m'impressionnait. Parce qu'il était tellement différent de moi : j'étais irrémédiablement intriguée par ce que je ne connaissais pas. J'étais donc irrémédiablement intriguée par lui. Plus que de la curiosité, c'était presque de la fascination. Je dis bien presque parce qu'il fallait quand même être sacrément mal pour être fasciner par quelqu'un à qui on a parlé deux fois.

Je traversais le petit salon en saluant ma génitrice qui leva à peine les yeux de son bouquin et marmonna un petit "y'a du riz dans le frigo".

Elle m'en voulait toujours pour mon comportement qu'elle jugeait inacceptable. Ouais bon ok c'est vrai que j'avais été un peu radicale mais un bon coup de poing ça remet le nez et les idées en place. Ma mère avait voulu que j'aille m'excuser mais j'avais catégoriquement refusé; s'en était suivi une énième dispute au terme de laquelle elle avait claqué la porte, préférant aller se réfugier dans les bras de son nouveau mec plutôt que d'affronter la situation.

Avant que j'entre dans ma chambre elle dit d'une voix blanche.

"Aufaite, je vais chez Samuel ce soir."

J'acquiesçais même si, étant dos à moi, elle ne pouvait pas le voir.  De toute façon elle n'avait pas besoin de mon accord et avait arrêté de me demander mon avis depuis bien longtemps.

Samuel (ou "Sam" comme il voulait qu'on l'appelle parce que selon lui ça faisait plus "djeuns") était le nouveau mec de ma mère. En réalité ça faisait plus de deux ans qu'ils étaient ensemble mais à mes yeux, c'était et ça resterait son nouveau mec. Nouveau après mon père. Je n'ai jamais su pourquoi ils s'étaient séparés. Ça s'était fait brusquement, un peu trop brusquement pour l'adolescente de 13 ans que j'étais à l'époque.

Ce soir là en rentrant du collège, j'avais trouvé mes deux parents assis sur le canapé, ils étaient éloignés l'un de l'autre et ne parlaient pas. Mon père avait les yeux rouges et enflés, signe qu'il avait pleuré. Ma mère, elle, ne pleurait jamais, du moins pas devant les autres je n'ai jamais su si c'était par fierté ou par pudeur mais le résultat était que son visage restait de marbre. Ils n'avaient rien dit, j'avais compris en voyant les cartons entassés dans un coin et la vaisselle brisée sur le sol.

Je chassais ce souvenir de mes pensées en m'affalant comme un cachalot sur mon lit. Même s'il était tôt je m'endormis assez rapidement. Mon sommeil fut lourd et sans rêves et ce fut donc un peu dans les vapes que je me réveillais quelques heures plus tard, il était à peine minuit. Un long gargouillement sourd me rappela que je n'avais rien mangé depuis environ douze heures alors je me levai en m'étirant et me dirigeai vers ma cuisine en traînant des pieds. Je pris l'assiette de riz dans le réfrigérateur, la fis réchauffer et retournai dans ma chambre, mon repas entre les mains.

Je mangeai assez rapidement et lassai mon assiette sur le bord de mon bureau par flemme de me relever pour aller faire la vaisselle. Je saisis mon téléphone pour regarder mes notifications: j'avais 4 messages d'un pote qui me demandais si j'avais fait les maths (j'ignorais jusqu'alors que j'avais des devoirs de maths), deux appels manqués, trois messages vocaux, une demande d'amis de Thomas sur facebook et deux dm instagram. Je fronçai les sourcils, le temps de mettre en marche les connexions dans mon cerveau et de comprendre ce qui était inhabituel et écarquillai les yeux en ouvrant l'application au logo bleu et m'empressai de cliquer sur "accepter l'invitation".

J'étais entrain de réfléchir à une entrée en matière un peu plus élaborée que "salut" pour lui envoyer un message mais il me devança:

De Thomas:

"Salut"

Ouais bon finalement c'était pas si mal "salut".

A Thomas:

"Hello :)"

De Thomas:

"Je pensais que tu faisais la gueule."

A Thomas :

"Pourquoi ?"

De Thomas:

"Bah à propos de ce qu'a dit Lisa."

A Thomas :

"Ah non pas du tout, j'en ai rien à foutre."

De Thomas:

"Tant mieux, fais pas attention, elle est un peu maladroite parfois."

Je pinçai les lèvres : pourquoi il prenait sa défense ?

A Thomas :

"Tu l'aimes bien ?"

De Thomas :

"Lisa ? Bah ouais on est potes quoi."

A Thomas :

"Non mais tu l'aimerais pas plus que bien ?"

De Thomas:

"Si par là t'entends plus que de l'amitié alors non. D'ailleurs c'est con ce que t'as dit tout à l'heure, elle est pas du tout amoureuse de moi !"

A Thomas :

"Lol, t'es aveugle ou quoi ? Elle passe son temps à te regarder et à dire à tout le monde ô combien tu es beau et talentueux."

De Thomas :

"Je suis beau et talentueux donc ? Je note. ;)"

Je sentis mes joues chauffer et répondis mi-gênée mi-agacée:

A Thomas :

"C'est pas la question idiot ! C'est sûr qu'elle te kiffe."

De Thomas :

"N'importe quoi."

A Thomas:

"Moi je te dis que si, mais après libre à toi de ne pas tenir compte de cette information. Tu viendras pas te plaindre quand elle te fera une déclaration d'amour enflammée à laquelle tu répondras sûrement la chose la plus horrible qu'on puisse entendre : "désolé mais je préfère qu'on reste amis"."

De Thomas:

"Ça sent le vécu tout ça."

A Thomas :

"Oui mais non, on s'en fout."

De Thomas:

"Au contraire, il faut que tu m'expliques ce que ça fait pour pas que je fasse subir la même chose à mes futures conquêtes."

A Thomas:

"Ha.Ha.Ha, je suis pliée en douze là."

De Thomas :

"J'aimerais bien voir ça :'). Et plus sérieusement faudra vraiment que tu me fasse un debriefing sur l'atrocité du fait de rester amis."

A Thomas:

"Ouais bon ça va, je suis pas une spécialiste non plus hein."  

C'était vrai, on m'avait que très rarement dit "je préfères qu'on reste amis", jamais enfaite. Par contre qu'est ce que j'avais pu la sortir cette phrase. Pourtant je savais qu'elle faisait des dégâts mais quand t'es à court d'arguments, ça sort tout seul. C'est triste d'ailleurs parce qu'on reste jamais vraiment amis avec la personne au final.

Mais j'étais prête à lui expliquer ce que ça faisait, même si je n'y connaissais quasiment rien.

C'était un peu stupide.

Mais je devais être un peu stupide et sacrément mal parce qu'au final, il me fascinait.


accords mineursWhere stories live. Discover now