Semaine 4

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En attaquant la semaine, je me suis dis : « Essaie de voir la vie du bon côté ». Puis j'arrive au lycée. Et non, il n'y a pas de bon côté. Je ne supporte pas cette niaiserie chez Jannick, cette étrangeté chez Emmy, ces provocations de Léo, ce génie chez Louna, ces échanges futiles avec la Wesh, cette odeur de chien mouillé chez Blandine.

— Jannick, regarde par la fenêtre, il neige, dis-je avec détachement.
— Noooon, sérieux ?

Quel gamin. Il se rapproche de la fenêtre, que les pions laissent toujours ouverte malgré le froid dans le réfectoire. Je me place derrière lui et...

Tétanie musculaire. Alors que pour une fois que je ne souhaitais rien qui puisse toucher à son intégrité physique.

Je m'effondre sur le sol. Je vois Jannick se pencher sur moi, Emmy qui s'affole, les surveillants qui forment autour de
moi un conglomérat humain. Je n'arrive pas à bouger, mais je suis conscient. Lâchez-moi, lâchez-moi, lâchez-moi... J'arrive à bouger à nouveau, enfin. J'écarte doucement la troupe de curieux, et prends le placebo qui fait office de médicament.

— Ça va ? me demande un gars, de Terminale je crois, en me mettant une main sur l'épaule.

Ai-je l'air de respirer la joie de vivre ? Je souris pour la forme.

— Oui... Ça va, je tremble un peu mais ça va.

23 janvier, Léo et CDI. Comment je m'y suis retrouvé ? Tout simplement parce que je cherchais un endroit calme et paisible, où je n'allais croiser aucune personne susceptible de déclencher chez moi des envies de meurtres, et que les conversations du club de philosophie sont en général très agréables à entendre et leurs débats animés, en plus d'avoir la chorale qui répète juste à l'étage en dessous.

Mais voilà, Léo est dans les parages.

— Mathis, je m'ennuie.
— Je ne suis pas d'humeur, va-t'en, lui dis-je sèchement.

Quand je lis des livres de philosophie volés, j'apprécie la tranquillité, voyez-vous. Léo tripote le bas de mon pull. Il remonte lentement. Je déteste les contacts, surtout imposés. Je prends le dictionnaire posé sur l'étagère et...

Je perds connaissance.

Je me réveille à l'infirmerie. Super, crise d'épilepsie tonico-clonique, j'ai grillé mon deuxième avertissement...

24 janvier, mon rendez-vous avec Blandine.

Elle se tient droite, devant l'arrêt de bus, elle a laissé sa valise et son sac de cours à l'internat. Ses cheveux blonds s'échappent du joli bonnet en point mousse qui les couvre. Elle porte une doudoune bleue marine, et des Doc's noires aux lacets jaunes. Elle sent bon. Un fond de chien mouillé, couvert par du parfum et l'odeur d'un gel douche à... À la fraise ? J'adore les fraises.

Quant à moi, je suis emmitouflé dans une grosse veste, posée sur un pull encore plus énorme.

— Tu as prévu quel film ?
— Si je te le disais, ça ne serait pas une surprise...

Nous avons opté tous les deux pour le dernier film avec Benedict Cumberbatch, parce que je n'avais rien prévu. Je ne sais pas ce que toutes les filles ont avec cet acteur britannique. Jeanne, Aïcha, Blandine... Je suis également persuadé que Benedict Cumberbatch est le seul homme sur lequel Louna peut fantasmer. Moi ? Je le trouve génial dans Sherlock, pas mal dans Enigma et parfait pour Dr. Strange, et j'avoue avoir une certaine attirance pour lui.

Blandine achète du pop-corn en sortant de la séance, et se prend une cannette de Sprite au distributeur.

— C'était trop bien, j'ai bien aimé le moment où Minus met en place le plan, et que ça tourne mal, s'exclame-t-elle enthousiaste. En plus, avec Étoile Polaire de Philip Glass, waouh ! J'ai adoré. Et toi ?
— Moi aussi, j'ai... bien aimé.

J'ai détesté. C'était illogique de bout en bout, avec des questionnements pseudo-philosophiques. Heureusement que la musique est bonne et que les acteurs le sont tout autant.

Nous sommes sortis du cinéma, et allés au parc municipal, juste à côté. Le sable avait été salé, au grand dam de Blandine qui aime la neige. Les animaux, eux, sont sans doute dans leurs « quartiers d'hiver ».

— C'est dommage, j'aurais bien voulu voir les biquettes aujourd'hui... Bon, c'est pas un drame, murmure-t-elle. Alors, Mathis, parle-moi un peu de toi.
— Ma mère est psy, mon père est gendarme. Mais je suis adopté. Sinon j'aime bien les séries policières et, même si c'est moyennement viril, je trouve Benedict Cumberbatch très attirant.

Elle rit, puis me sourit avec les yeux. Elle est jolie, vraiment. Mais à aucun moment je ne ressens de l'amour. C'est plutôt de l'attirance. Je la trouve belle, je la trouve désirable, elle est l'objet de mes fantasmes pour le moment. Rien de plus, rien de moins.

Elle... Elle doit me trouver mignon, sans plus. Pas assez bien pour perdre sa virginité, en tout cas.

— Et toi ? Comment vis-tu avec tes parents ?
— Ben... Globalement, ils me foutent la paix ! Tant que je fais mes devoirs et que j'aide un peu... J'étends le linge, je détache le patou, je nourris les chiens et les lapins et je rentre les moutons au minimum.
— Ça doit être épuisant.
— Parfois, mais c'est cool. Oh, ces vacances, j'ai repeint les niches des chiens ! Comme ils dorment dans la bergerie l'hiver, j'ai tout récupéré et j'ai passé un coup de pinceau.

Je m'en fiche complètement, mais continue de parler, je suis pendu à tes lèvres, tes magnifiques lèvres.

25 janvier, je me fais passer pour malade. Or, Arthur ne peut pas me garder, et Jeanne encore moins. Je me retrouve donc à me faire dorloter par les deux petits vieux.

26 janvier. Je me dis que j'aurais été excellent dans le rôle du Malade Imaginaire.

27 janvier, début du week-end. Comme j'ai à présent le numéro de Blandine...

28 janvier, je devrais rattraper les cours que je n'ai pas suivi. Mon ego n'y survivra pas, mais je dois demander à Jannick qu'il me prenne celles de Louna, parce qu'il prend ses notes en allemand et que j'ai Italien LV2, et Espagnol LV3.

Albert vivra 16 ansWhere stories live. Discover now