Semaine 22

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29 mai, il pleut.

— Pourquoi fait-il si mauvais ?

— Parce que je suis Paco, répond le plus naturellement du monde Blandine.

— Et où est le rapport ?

— Elle a pris un rat, elle a pris un porc, ça fait un rapport, dit Rita.

C'est la pire blague que j'ai entendu de ma vie.

— Oh, allez, dérides-toi un peu Mat, soupire Léo.

— Tout le monde n'a pas un humour aussi merdique que celui de Louna.

Louna est en effet morte de rire, pliée en deux devant sa purée de carotte. Comment peut-on être aussi brillante et avoir un humour aussi mauvais ?

30 mai, Léo lit un Captain America sous les yeux horrifiés des weeaboos du CDI. Moi, j'essaie de m'incruster dans le club de philosophie, pour voler des chocolats que le professeur avait apporté.

Karma ou juste malchance, le professeur revient à ce moment-là.

— Fly, you fool, lance Louna du bout de la table.

Inutile de me le dire deux fois. Et inutile de revenir vers Léo, son petit-ami s'est téléporté au CDI.

Pourquoi Rita, pourquoi as-tu cours à cette heure de la journée ?

Je reprends ma lecture d'Anna Karénine. Depuis le temps que cela traîne...

31 mai, je mange avec Rita, Léo, Emmy... Et la Wesh, s'étant incrustée par ici. Elle sent la cigarette, et une odeur plus douce, plus suave. Elle a les yeux rouges.

— Bon. Hé bien, mes chères camarades au féminin, j'espère que vous n'irez pas aux toilettes immédiatement, dis-je.

— Ta gueule, répond la Wesh.

— Te sens-tu visée ?

Léo me balance des boulettes de mie à la figure. Une atterrit malencontreusement sur Rita. La contre-attaque est impitoyable, et je m'y trouve au milieu. Je prends mon plateau, me lève, et passe sur la table d'à côté.

— Qu'est-ce que tu fous, Mat' ?

— Je demande l'exil politique, Léo, répliqué-je.

J'ai donc posé mon auguste fessier sur une chaise appartenant à une assemblée de commensales de Première, des glousseuses de type exaspérantes.

— Mesdames, si ça ne vous dérange pas...

Elles sont toutes trois maquillées comme des voitures volées, et me regardent comme si j'avais insulté leur mère.

Des imbéciles, peut-être ?

1er juin, journée banale à part le fait que François est venu me chercher au collège. Il y a chez lui le neveu d'Arthur, Benjamin, et sa sœur adoptée, Pam. Pam est très grande, elle est plus vieille que Benjamin mais plus jeune que moi, et nous dépasse tous les deux d'une bonne tête. Benjamin a les mêmes yeux qu'Arthur. Marie-Rose nous confond, Benjamin et moi. Parce que nous faisons la même taille.

2 juin, nous avons été tenus toute la journée dans la terreur du conseil de classe. Sauf Louna, qui sait qu'elle aura les félicitations de toute façon.

3 juin, Anna, la sœur de Jeanne, est à la maison.

— Mais qu'il a grandi ! s'écrie-t-elle quand elle me voit revenir d'une excursion chez Rita. Que tu es grand ! Presque autant que ton père.

Puis elle voit Rita, qui arrive juste derrière moi. Il se trouve que nous sommes très souvent ensemble, pour jouer à Mario Kart ou griller une cigarette, et que Arthur avait acheté un gâteau.

— C'est ta petite-amie ?

— Tante Anna. Déjà, bonjour. Et ensuite... Non, Rita n'est pas ma petite-amie, nous sommes juste amis et frères de sang.

Ce n'est pas une blague. Avant l'entrée en Quatrième, Rita -encore Jannick à cette époque- m'a proposé d'être « son frère de sang ». Elle s'est coupée avec un bout de verre, et moi aussi, et nous avons appuyé nos plaies saignantes l'une contre l'autre.

Mais la tante Anna n'écoutant que ce qu'elle veut entendre, elle se met à détailler Rita sous toutes les coutures.

— Nous sommes juste là pour les gâteaux, précisé-je, pendant que j'en chaparde. Je ne savais pas que tu serais là. Sur ce...

Rita sourit en faisant un petit signe de la main pour dire bonjour à tout le monde, puis monte à ma suite.

— Ta tante est malaisante.

— Je sais, je sais, soupiré-je en attrapant la manette. Réflexe ?

Rita la réceptionne sans mal, et je lance un jeu au hasard.

— Ils sont bons, c'est quelle boulangerie ?

— Heu... « B comme Délice », je crois.

Le soir même, Jeanne m'a chargé dans sa voiture. Nous sommes allés au théâtre, où toute la clique s'est retrouvé dans le hall d'entrée. Blandine était là depuis la moitié de l'après-midi, ai-je cru comprendre.

— Et le meilleur pour la fin, dis-je en les rejoignant.

Gabriel se ronge les sangs. Engoncé dans une livrée de bouffon relativement sobre, blanche et noire à carreau, il paraît encore plus frêle que d'habitude.

— Du calme, Gaby, lance Léo en lui tapotant dans le dos. Tu vas être génial.

Un homme en noir l'appelle de l'entrée des Artistes.

— 'scusez-moi, j'y vais.

— File, Castafiore, braille Faya.

Peu de temps après, on nous fait prendre place dans la salle.

Et le spectacle commence...

C'est vrai, Gabriel a une voix magnifique.

4 juin, Anna est toujours là. Elle mange, elle parle, elle parle, elle boit, puis elle parle encore. Un vrai moulin à paroles ! Jeanne adore l'écouter divaguer, et il faut dire qu'à une certaine époque je réclamais cette femme aux longs cheveux acajous pour qu'elle me raconte une histoire.

Quel n'est pas mon soulagement, quand elle part sur le coup des 17 heures !

Albert vivra 16 ansWhere stories live. Discover now