9 : Gris

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La pièce sent la peinture. Une odeur forte, comme si les fenêtres n'avaient pas été ouvertes depuis des semaines. Est-ce le cas ? Pour l'instant il y a plus important : où suis-je, cette fois-ci ? J'espère juste ne pas avoir à encore trouver une couleur.

J'ouvre un œil, comme d'habitude. Je suis bel et bien dans une pièce, avec l'unique fenêtre fermée. Les murs en bois et en pierres sont abimés. Le sol est un parquet avec le vernis détein, et on dirait que le toit fuit... Oui en effet, un seau est posé au milieu de la salle. D'ailleurs, même si elle est grande, il y a des choses partout ! Tables, chaises empilées, pots, boites, cartons, peintures, pinceaux, matériels de dessin... Tous ça pour un seul chevalet.

Je me tourne vers l'objet en question. Il est grand, plein de tâches colorées. Je vois des jambes dépasser, donc il y a bien quelqu'un ici.

- Excusez moi ?

Aucune réaction. Bon, je vais m'approcher...

J'avance lentement, car le bruit du parquet grinçant est juste atroce. J'y suis presque... Comment fait-il/elle pour marcher couramment dans tout ce bordel ? Cette personne pousse un long soupir, avant de grincer :

- Comment es-tu rentrée ?

- Par la porte, je réponds par réflexe.

- Elle est condamnée depuis des lustres. La vérité, jeune fille.

- Comment vous savez que je suis une fille, si vous ne me voyez pas ?

- Ta voix n'est pas vraiment originale. Ni aigue, ni grave. Medium. Et le bruit de tes pas sur le parquet est celui de quelqu'un d'assuré, mais qui fait quand même attention. Aucun signe non visuel prouvant ton sexe, certes, en plus du fait qu'une marche ou une voix efféminée n'est pas forcément celle d'une fille.

- Euh... Oui si vous voulez, donc, la réponse ?

- Tu connais beaucoup d'homme avec des pieds fins et un jean slim ?

- Oui, je réplique aussitôt. Je croyais que vous n'aimiez pas les généralités ?

- Et de la poitrine ?

Les trans peut être ? Euh même, comment il a pu le voir, si tous ce qui dépasse de notre séparation -le chevalet- sont mes pieds ?

- Hein ?

Il éclate d'un rire amer, sans la moindre trace d'humour.

- Tu crois être là depuis combien de temps ?

Je ferme ma bouche, laissant les informations traverser mon cerveau. Je suis là depuis longtemps, il s'est juste joué de moi. Sale vieux. Car ouais, cette voix rauque et cassée est sûrement celle d'un centenaire aigri ayant une dent contre le monde "d'aujourd'hui". Je marmonne :

- Alors pourquoi me demander comment je suis entrée, vieil homme ?

Il y a un silence. C'est moi ou l'ambiance est vraiment tendue, là ?

- Car je me pose réellement la question. Je t'es vu en me réveillant, allongée par terre et un peu assommée. Tu as dû te cogner... Comment crois-tu avoir fini sur une chaise ?

Je me retourne aussitôt, assez bruyamment. J'entends un léger "si prévisible", mais l'ignore, observant le lieu ou je me suis réveillée. En effet, il y a une chaise dans un coin. Là où j'étais. Je n'y avais même pas fait attention. Je devrais le remercier, j'imagine. Alors...

- Ah.

- Donc, ma réponse ?

- Je n'ai aucune raison de le dire.

Pawn ♟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant