Je veux adopter (6/17)

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Liberté les voyait chaque jour lors de ses promenades : les enfants de l'orphelinat du coin de la rue. Dans le jardin de leur jolie maison blanche, jouant au ballon ou à la balançoire. A première vue ils semblaient être des enfants comme les autres : et ils l'étaient. Mais ils étaient des enfants bien plus malheureux que les autres, et Liberté le savait.

Ce jour là, elle voulut entrer pour parler avec les propriétaires. Peut-être pour ses recherches journalistiques, ou peut-être par souci d'humanité ; probablement les deux à la fois. La maison était tenue par un couple tout ce qu'il y a de plus austère. Ils étaient payés par l'État pour s'occuper de ces enfants, mais l'on voyait bien qu'il s'agissait plutôt pour eux d'un travail que d'amour, ou même ne serait-ce que d'empathie. Il ne s'agissait en tout cas certainement pas de parentalité ; pas aux yeux de Liberté. Mais ces gens n'avaient jamais prétendu être parents. Non, ces enfants là n'avaient pas de parents. Des enfants sans parents, des orphelins : comment une telle monstruosité pouvait-elle exister ?

Ce jour là, Liberté joua avec Lucie, une fillette de six ans qui était la petite fille la plus adorable qu'elle n'ait jamais rencontrée. Lucie lui fit visiter la maison, lui présenta tout les enfants, et l'emmena faire des puzzles en lui parlant. Elle raconta comment sa maman et son papa étaient morts l'été dernier lors d'une catastrophe naturelle, et parla d'eux avec tant et tant d'amour que Liberté sentit son cœur se briser. Cet amour que Lucie semblait si capable de donner ; au nom de quoi justifier qu'elle ne soit pas autorisée à en recevoir ? Et Liberté, à ce moment, se sentit si pleine d'amour pour Lucie que, si elle l'avait pu, elle l'aurait embarquée sur l'instant et serait devenue sa maman.

Elle ou un autre enfant, peu importait. Tous ces enfants étaient dans le même cas. Lucie l'avait touchée parce qu'elle avait pris le temps de la connaître et commençait à s'attacher à elle. Mais Liberté avait conscience qu'il en serait allé de même pour chacun des enfants derrière ces murs. Elle tenta de parler avec les propriétaires mais en vain : à Chesna, aucune procédure d'adoption n'était permise avant vingt-huit ans, et être célibataire constituait un frein énorme à l'étude de votre dossier. Après tout, de toute façon, ce n'aurait probablement pas été une bonne idée.

Liberté aurait pu emmener un petit Chesnaien à Dievex : ils l'auraient accepté. Leurs frontières sont fermées aux immigrants de Chesna, mais pour un enfant ils auraient fait une exception ; surtout pour un orphelin. Mais c'était trop tôt de toute façon : elle n'avait pas encore l'agrément, et elle avait d'autres plans pour le moment. Il n'empêche que savoir ces enfants livrés à eux-mêmes, recevant si peu d'affection et, déjà à un âge si jeune, mis en marge de la société, lui donnait envie de pleurer.

Elle aurait préféré ne pas les voir. Elle hésita à faire du bénévolat à l'orphelinat mais renonça : cela lui aurait fait trop de mal. Fermer les yeux semblait la seule façon de gérer ça : oublier leur existence pour ne pas subit la culpabilité de ne rien faire pour eux. Et Liberté en voulait aux Chesnaiens d'avoir la possibilité de faire véritablement quelque chose et de ne pas l'utiliser.

Humains néanmoinsWhere stories live. Discover now