ALEXANDRE / MON FILS MON MALHEUR

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-Alors, résumons la situation, tu vas devenir papa, tu veux faire des études d'histoire pour devenir professeur, tu vas travailler comme serveur dans un restaurant, le soir et le weekend pour nourrir ton gosse et ta femme enfant.

Je fais une pause dans mon récit pour reprendre un peu d'air.

- Tu es débile ou quoi ?

Je le vois serrer les poings et devenir rouge.

- Si tu m'insultes, je m'en vais !

Je lève les mains en signe de reddition.

- OK, je ne t'insulte plus. Mais avoue que la pilule est dure à avaler. Il y a quinze jours en arrière, nous regardions les universités de droits ensemble, planifions la recherche d'appartement et aujourd'hui, tu chamboules tout. Je suis désolé, mais je n'arrive pas à être aussi flexible que toi.

- je ne changerais pas d'avis papa.

Je n'y crois pas, il est fou, ou bien on l'a lobotomisé. Une secte a pris mon fils !

- C'est l'autre folle qui t'a monté le bourrichon ? Elle veut combien, pour que tout redevienne comme avant ?

Il ouvre la bouche en grand et ces yeux sont perplexes.

- N'importe quoi. Patricia n'y est pour rien. C'est mon choix à moi.

Je n'en reviens pas, il l'a défens.

- Tu parles, je ne te crois pas capable d'avoir pu fomenter toute cette comédie. Comment en quinze jours, tu es passé du jeune fils sans problème, à ça ?

Je le désigne d'un geste rageur.

- Avant, je n'étais pas moi, avant, je devais être toi. Et je n'aimais pas ça. Je veux faire ma vie à moi, pas la tienne. Sourire à des gens que je n'aime pas, ou bien lécher les bottes de politiciens ou bien de clients complètement tordues, très peu pour moi. C'est grâce à Marie et sa famille que je me suis rendu compte qu'il existait des gens qui s'appréciaient pour eux-mêmes et pas pour ceux que l'on peut leur rapporter ou pas. Tu vis dans un monde faux et hypocrite. Je ne veux pas finir comme toi papa. Et je crois que ce bébé est mon sauveur, en fait. S'il n'avait pas été là, jamais je n'aurais eu le courage de te contrer. Mais il ne s'agit plus seulement de moi, mais de Marie et de mon enfant. Alors cette fois tu n'as rien à dire. Si tu veux faire partie de ma vie, tu peux, sinon, tant pis, je me débrouillerais tout seul.

Mais qu'est-ce qu'il me chante ? Il se croit dans un Disney ? La vie n'est facile pour personne et il va le découvrir par lui-même.

- Ton discours est bien beau, mais tu vas faire un trait sur une vie douce et facile. Tu feras comment pour assumer une famille et des études ? Je crois que tu n'as aucune idée du merdier dans lequel tu viens de te fourrer. Tu veux aller en fac d'histoire, très bien, vas-y, si tu veux vivre en étant un médiocre va-y. Mais ne compte plus sur moi financièrement. Tu veux avoir ta vie, eh bien, tu vas l'avoir ta vie. Mais écoute-moi bien, je te donne six mois avant que tu ne reviennes me voir la queue entre les jambes.

Il se redresse, apparemment vexé.

- Très bien, puisque tu le prends ainsi. Je n'ai pas besoin de toi. Je me débrouillerais tout seul. J'aurais dû le faire il y a longtemps. Mais laisse-moi te dire une chose. Continue ainsi et tu finiras tout seul comme papi, avec une poupée botoxée au bras, pour te pomper ton précieux fric.

Je le vois qui se dirige vers la porte, il veut partir ? Mais je n'ai pas fini, il faut que nous discutions encore, il faut le convaincre du bien-fondé de ma position ! C'est au moment où je le vois passer la porte que je me rends compte que je peux le perdre, ne plus jamais le revoir. Il est mon unique fils. Mon cœur se serre de colère, mais de douleur aussi. Tout ce qu'il vient de me dire, je le sais, mais c'est ainsi que marche la vie. En tout cas la mienne marche comme cela et elle me convient parfaitement.

- Eliott !

Je le rappelle, je ne veux pas qu'il parte. Il se retourne, et je prends une gifle monumentale. Il a les larmes aux yeux. C'est d'une voix brisée que je lui demande.

- Si je t'appelle, tu me répondras ?

Il soupire.

- Bien sûr papa. Tu es mon père et je t'aime malgré tout.

Mais qu'est-il arrivé à mon petit garçon ? En quinze jours, il a grandi de plusieurs années. Je suis perdu.

- Moi aussi je t'aime, mon fils. Mais je ne peux pas cautionner tout ça. Tu fais une énorme erreur. Je serais là, quand tu t'en rendras compte.

La porte se referme, et le silence envahit la pièce, froid, glacial. Je suis déçu, mais je sais au fond de moi qu'il va revenir, mais il va falloir qu'il en bave un peu. Je lui donne une année pour se rendre compte de son erreur et me revenir. Mais pourquoi ce trou béant au milieu de ma poitrine ? Pourquoi quand mon cerveau hurle à l'aberration mon corps voudrait le serrer dans mes bras et lui dire que je suis avec lui et que tout se passera bien ?

Je souffle un bon coup et ouvre la porte pour rejoindre Damien, je le trouve dans la cuisine en grande conversation avec la fleuriste. Elle lui sourit, le visage détendu, une tasse de café dans les mains. Je ne comprends rien à ce qu'elle lui raconte, mais apparemment cela à l'air passionnant, parce qu'il ne décroche pas une seconde le regarde d'elle.

Une rage sans nom me prend. C'est à cause d'elle si j'ai perdu Eliott. À cause de sa famille, de ces théories fumeuses sur la vie. Je la hais, j'aimerais pouvoir l'écraser comme une mouche malfaisante.

Elle me repère et son sourire s'efface brusquement. Son regard devient interrogateur. Ces sourcils se froncent et ces lèvres s'entrouvrent. Elle vient de me voler mon fils et je ne sais pas comment le récupérer. C'est la première fois de ma vie que je suis dans une impasse. J'ai toujours su ce que je devais faire dans la vie, je n'ai jamais eu de doute. Même mon divorce a été une évidence. Aucune sensation particulière lors de notre séparation, rien. Mais aujourd'hui, la colère, la déception, l'incertitude se mélangent en moi et je suis perdu. Une seule certitude, cette femme qui me fixe la bouche ouverte en est la responsable et il faut que j'arrive à l'éliminer de l'équation.

Je me dirige d'un pas décidé vers la cuisine.

- Damien, je te rappelle que tu es marié et père d'un enfant, alors bouge ton cul on s'en va.

Damien me regarde le visage grave, il vient de comprendre que ma discussion avec Eliott s'est mal passée.

- Vous voulez un café avant de partir ?

Rrrr, sa voix est toute douce, un peu hésitante. Elle sait, elle aussi, ce qui vient de se passer, elle a dû le lire sur mon visage et je déteste lui montrer mes faiblesses.

- Non, on s'en va !

Et je passe devant eux comme un taureau fou, j'ouvre la porte et, derrière moi, je l'entends me dire.

- Vous pouvez venir voir Eliott quand vous voulez, la porte vous sera toujours ouverte.

Sa pitié, elle peut se la garder. Je suis arrivé au milieu de l'allée et je me retourne pour lui répondre qu'elle peut aller se faire voir, quand tout à coup, un blanc. De la position debout je me retrouve en position allongée, le souffle coupé, une douleur intense me parcourt le corps suivie d'un grand crack, ou bien un grand crack suivi d'une immense douleur ! Elle m'a encore castré ou quoi ?

J'AIME PAS LES AVOCATSWhere stories live. Discover now