Le chasseur et le soldat

L'heure de vérité

Rochél'invite à s'asseoir. Novak hésite et finit par prendre placesur la chaise en l'écartant légèrement de l'axe de la fenêtre.Un vieux réflexe de soldat qui a la dent dure, même de retour dansle civil. Tout faire pour éviter d'être une cible désignée.

Roché se dirige vers un petit bar d'appoint en acajou, y pose son verre vide et ouvre une bouteille de whisky. Il verse une lampée dans deux nouveaux verres et se tourne vers Novak.

"Savoure... C'est du dix ans d'âge » insiste-t-il devant levisage fermé de son invité.

Novak finit par se saisir du verre et le pose sur le bureau sans y porter la moindre attention.

"Je vois " se braque Roché en s'appuyant sur le bord de celui-ci.

Il tire sur son cigare, savoure sa bouffée avant de la laisser s'échapper en la suivant du regard.

"Que veux-tu savoir ? ", en buvant une gorgée et tournant la tête vers Novak.

"Tout " répond-il, du tac au tac.

"Tout, c'est vaste et je n'ai que peu de temps à te consacrer "

"Commence par Crowley ", sèchement.

"Fergus " soupire Balthazar en fixant la porte close face à lui." Regrettable ", en faisant une moue désabusée.

"Pourquoi le tuer ? "

"Parce qu'il le fallait ", en se redressant pour faire le tourde son bureau. " Ce que tu dois savoir avant qu'on aille plus loin ", sourire entendu " C'est que derrière tout bon vendeur d'armes qui se respecte, se cache avant tout un trafiquant qui se sait se faire respecter... Ce qui implique qu'il doit savoirs'entourer des bonnes personnes... De ceux qui se saliront les mains à sa place et qui vendront la mort en leurs noms pour éviter de ternir le leur... Avoue que cela ferait pas très classe sur un CV de mentionner dans ses clients des groupuscules intégristes ou des marxistes léninistes... même si cet envers du décor est connu de tous, nos chers dirigeants en premier ", sarcastique, tout en s'asseyant.

"Pourquoi tuer Crowley dans ce cas ? "

"Parce que Fergus avait cette manie de faire signer des contrats à tous ses partenaires légaux », soulignant ses mots de guillemets virtuels «... et de les respecter au paragraphe près...Parce que je lui avais dégoté une affaire en or et qu'il l'a refusée sous prétexte qu'il avait déjà signé avec la partie adverse en leur promettant de ne pas vendre au camp d'en face...C'était une question de principe, m'avait-il répondu tout en signant un contrat avec un dictateur africain. Tu parles d'une ironie ! Ses principes à géométrie variable allaient nous coûter des millions de dollar », en vidant son verre d'un trait et le claquant sur la table. " et me coûter un joli pactole par la même occasion »

"Et tu n'as rien trouvé de mieux que de l'éliminer del'équation, c'est ça ? ", effaré.

"Non, je l'ai tué aussi et surtout parce qu'il merdait avec Skean et... et que j'ai été payé pour ça », d'une voix soudain plus basse.

"Balty ? "

"Ne me regarde pas comme ça, tu veux », sur la défensive. "Tu ne vaux pas mieux que moi, je te signale... Toi aussi, tu tues sous contrat, et pour un salaire de misère en plus... Au moins moi,je ne risque pas ma peau pour quelques malheureux dollars pendant que les pontes qui m'envoient au casse-pipe se la coulent douce à Washington », furieux.

"À une différence près, c'est que je me bats pour une cause et pas pour de l'argent » réplique Novak aussi sec.

"Une cause ? Mon pauvre Castiel, il n'y a plus que toi pour vouloir encore y croire... Il n'y a pas de juste cause, il n'y en a jamais eu ", en écrasant son cigare dans le cendrier à sa droite. " Tu sais combien il y a de guerres actuellement dans le monde ? Trente officiellement répertoriés, et je ne te parle même pas des conflits mineurs qui se comptent par centaines et des rivalités ethniques dont tout le monde se fout depuis le Rwanda...Qui s'intéresse de nos jours à la Papouasie occidentale ?Qui s'intéresse au Donbass ? Personne, encore moins les grands manitous qui nous gouvernent, ils ne savent probablement même pas où se situent ces régions. Mais le Moyen-Orient... Ça par contre, tout le monde s'y intéresse. Et tu veux en connaître la raison ? L'argent... Parce que l'argent a toujours été le moteur, le nerf de la guerre et la seule politique qui fasse tourner le monde, et que ça ne changera jamais »