Chapitre 1

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Deux ans que je suis divorcé, un an que mon emmerdeur de frangin essaie de me faire rencontrer des nanas, et une heure que j'ai accepté. Je regrette déjà. À trente-sept ans, je ne sais plus draguer, j'ai complètement oublié toutes les savantes manœuvres d'approche. Je ne suis pas certain de les avoir apprises un jour, ceci dit. Et encore moins d'avoir envie de draguer, là, maintenant, dans cette galerie d'art où s'entassent tous ces citadins qui s'extasient devant des sculptures représentant... quoi, d'ailleurs ? J'ai beau en faire le tour, je n'arrive pas à dégager la moindre forme connue de cet amas de métal et d'argile.

— Alors, tu te rinces l'œil ?

Comme d'habitude, mon petit frère est tiré à quatre épingles. Il porte tellement bien les smokings que j'ai parfois l'impression qu'ils ont été inventés pour lui. Je l'envie un peu. Il a une telle facilité à se fondre dans ce genre de sauterie pompeuse où les convives mangent le petit doigt levé ! J'ai parfois l'impression que nous n'avons pas eu la même enfance, ni les même parents. Qu'est-ce que je fous là, franchement ?

— Désolé Axel, mais ce genre de vomi artistique ne me fait pas bander.

Il prend son petit air supérieur qui le rend si agaçant. Ah il est loin, le temps où je le lui faisais ravaler d'un revers de la main.

— Je ne te parle pas des sculptures, idiot !

D'un geste large, il désigne avec sa coupe de champagne toute l'assemblée. Il y a là une foule plutôt homogène de bourgeoises et de bourgeois qui rient grossièrement en se racontant les derniers rebondissements de leurs investissements ou les facéties les plus récentes du petit dernier – le chien, pas le gosse – ou de la femme de ménage qui est tombée dans la piscine. Un peu à l'écart, il y a un petit groupe de jeunes qui ne semblent prêter attention ni à leurs vêtements, ni à leur coiffure. Ce sont les seuls à avoir l'air un minimum intéressés par les œuvres exposées. Probablement sont-ils, comme moi, en quête d'une quelconque signification. Les autres ne font même plus semblant de s'y intéresser.

J'observe quelques culs, et je dois reconnaître que certains accrochent mon regard. Axel sourit tandis que je fais le repérage d'un seul coup d'œil. Mais à quoi bon ?

— Tu sais bien que ce n'est pas mon truc ! Je ne fais pas ça, j'en suis incapable.

J'amorce un mouvement de repli tactique en essayant de verrouiller l'accès à ma cible : le double battant de la porte de sortie. Mais Axel me connaît un peu trop bien et, d'un mouvement souple et élégant, il se place entre mon objectif et moi, bloquant ainsi toute tentative d'évasion. Il dépose nonchalamment son verre à moitié vide sur un plateau qui passe devant lui – comme si cela lui était parfaitement naturel d'avoir autant de gens à son service – et me prend le bras. Je frémis. Nous sommes en public, je ne vais pas faire un scandale, mais il sait que je ne supporte pas ça.

— Arrête !

Mon ton est posé, mais agacé. J'ai accepté d'être là, j'ai même roulé deux heures pour venir alors que je pensais avoir laissé Paris loin derrière moi depuis bien longtemps, mais je ne vais pas en plus supporter qu'il me trimballe partout comme un trophée.

— Cesse de faire ton vieux bougon. Viens, je vais te présenter à celle que tu ne quittes pas des yeux depuis qu'on est arrivés.

— Pardon ? N'importe quoi...

Il est super fort, le frangin. J'ai pourtant essayé d'être discret. Évidemment, que je l'ai observée, la grande rousse aux formes diaboliques qui fait valser ses cheveux sous les yeux exorbités des trois hommes en rut qui lui tournent autour. Moi, j'ai opté pour une approche différente : je la fixe sans ciller pendant de longues minutes. Technique ancestrale de l'arrière-arrière-grand-père de l'ours des cavernes qui sommeille en moi. A priori, ça ne fonctionne pas du tout. Elle ne m'a pas rendu une seule seconde mon regard. Je suis complètement con. Tout ce que j'ai gagné, c'est un bon mal de crâne, et un violent sentiment de jalousie à l'égard du type à lunettes avec qui elle discute depuis tout à l'heure, que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam. Merde ! Je me fais vieux, je ne sais plus draguer.

Sur le bout des doigts - Sous contrat d'édition BMRWhere stories live. Discover now