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Je suis descendu du train depuis un petit moment, je l'observe avec attention. De l'endroit où je suis placé, je la vois de profil. Je suis étonné de voir que la jeune fille d'autrefois n'est pas bien loin. Lorsqu' elle est impatiente, son nez se plisse, ses lèvres font cette moue digne de BB. Je ne peux pas m'empêcher d'avancer vers elle. Et j'aime ce que je vois, sauf cette main qui est sur le bras de l'autre mec à côté d'elle. Ça, je n'aime pas ! Je suis à trois pas derrière elle, si j'osais tendre la main vers elle, je pourrais la toucher, lui caresser la nuque et peut-être même poser mes lèvres sur son tatouage. Qu'est-ce que j'aimais l'embrasser là ! Mummm... Qu'est-ce qu'elle est sexy ! Elle porte une sorte de chemise avec des manches courtes et une large ceinture. Elle a la silhouette de Betty Page *1, mais en mieux, elle est splendide avec ses cheveux courts et son tatouage.

-Kit Kat, ma friandise préférée !

Elle se retourne vers moi, mais ne me regarde pas, son sac est par terre et l'autre abruti le ramasse. Je vois Gab et Julie arriver vers nous. Elle se tourne vers la sortie. J'avais pensé à plusieurs scénarii dont une paire de gifles, mais pas ça. Partir sans un mot, sans un regard.

Julie fusille Gabriel du regard.

-Tu m'avais dit qu'elle était OK pour une rencontre dans un endroit neutre ! Tu te fous de ma gueule ! Et sur quoi d'autre tu m'as menti ? Hein Gab ? C'est vraiment dégueulasse ce que tu viens de lui faire...

Purée, elle a du punch la petite, mais Gabriel ne l'écoute pas, il essaie de joindre Kat.

-Et toi, papa ? T'étais aussi dans le coup ? DE-GUEU-LA-SSE. Les mecs, vous êtes vraiment dégueulasses.

L'invective de Julie semble le sortir de son hébétude. Il se redresse, regarde sa fille droit dans les yeux, comme s'ils avaient une conversation silencieuse, et soudain, je ne comprends plus rien. Il se jette sur moi, il est déchaîné et j'encaisse plusieurs coups au visage et au torse. Gabriel se place entre nous, Julie ceinture son père et l'éloigne un peu. Il écume de colère. Putain, il a de sacrés crochets du droit. Moi qui pensais à lui comme un gentil toutou, je me suis bien trompé.

-Alex, qu'est-ce qui te prend ? Ça va pas ? Depuis quand tu frappes les gens sans avoir de raisons ni même sans les connaître ?

-Gab, c'est pas contre toi, mais ce mec-là, je ne veux pas le connaître, je ne supporte même pas de le voir. Et ta mère c'est pareil ! Pourquoi tu crois qu'elle est partie ? Et tu le savais c'est pour ça que tu ne l'as pas prévenu ! Quant à toi, espèce de sac à merde, tu fais ce que tu veux avec Gab puisqu'apparemment il a décidé que tu étais digne de confiance, mais toi Julie, tu viens avec moi. Et juste pour info, les gentilles caresses d'aujourd'hui représentent un centième de la peine que tu as infligée à Kat lorsque tu l'as quitté en lui envoyant une lettre de rupture quinze jours avant qu'elle ne rentre chez elle tout en continuant à coucher avec elle. J'en ai plein d'autre en réserve pour toi ! Gab, pour rentrer, tu te démerdes, ta mère s'est crevée pour te préparer une super fête. Julie, on y va. Tu as des trucs à me dire, je crois.

-Alors, c'est ça tu pars avec ton père, sans un mot. Tu vas te comporter comme ça encore longtemps ? Je dois dire que j'en ai un peu marre de me battre pour toi quand je vois que toi tu ne fais rien pour moi !

-Tu vois Gab c'est ça ton problème. Tu ne fais que te battre. Utilise un peu plus ton cœur et ton cerveau, tu verras que ça peut tout changer. Pap's on y va ?

En regardant Julie et Alex s'éloigner, je vois bien que Gabriel est fou de rage, complètement déstabilisé. Je lui mets la main sur l'épaule, la serre un peu.

-Viens mon grand, on va aller louer une voiture et tu me montreras tous les endroits que tu aimes. Ok ? Laisse-les partir. Ils ont besoin de parler tous les deux. Et nous aussi. Il est temps qu'on ait enfin une vraie discussion.

Merde, je joue l'Homme fort, mais qu'est-ce qui m'a pris, de me mêler de leurs vies ? J'ai fait plus de dégâts en trois jours qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Le bilan rapide que je dresse est horrible. Gabriel a déçu tous ceux qui comptaient pour lui. Sa mère, sa copine et l'homme qui a été un père pour lui toutes ces années. Tout ça pour moi. Je ne suis même pas sûr de le mériter. Non c'est faux, je sais que je ne le mérite pas ! Mais où est Kat ?

* *

*

Kat

Dans ma tête, tout se mélange. Maxime et Gabriel, côte à côte, comme je l'ai si souvent espéré. Alex mon ami de toujours, mon soutien sans faille, Julie enfin que j'aime tellement juste parce qu'elle rend mon fils heureux. Quel mauvais tour ils m'ont joué ! Pourquoi maintenant ? Alors que je me sens si nulle, tellement fatiguée, au bout du rouleau. J'ai à nouveau l'impression d'avoir vingt ans et d'être si seule face au décès de mon père, aux mensonges de ma mère et à cette grossesse surprise !

Lorsque le taxi se gare devant le casino, je suis vraiment dans un sale état. Comme un automate, je tends au chauffeur le billet de cinquante euros que je garde en réserve dans la pochette de mon téléphone. Je tente un sourire, j'expire un grand coup et je sors enfin. Je ne fais qu'une dizaine de pas avant que Bruno ne me repère. Il avance vers moi avec sa tête des mauvais jours, visage fermé qui veut dire « fait pas chier ». Je n'ose pas le regarder dans les yeux. Avec le peu de force qu'il me reste, je lui dis :

-Bruno, comment vas-tu ? Est-ce que Vince est là ?

-Mamzelle Lutz ! Toujours un plaisir ! Vince est ici, je l'appelle dans cinq minutes. Dès que tu m'auras dit le nom de la personne que je dois aller boxer. Merde !! Tu as l'air si malheureuse !

-Merci Bruno. Juste Vince ! Ok. Je vais l'attendre dans le hall. Pour ta proposition, je la garde à l'esprit et je vais y réfléchir.

Mon Dieu ! Imaginer Bruno face à Maxime me redonne presque le sourire. Bruno c'est un mix de Teddy Riner et Tony Yoka avec le côté sadique et sanglant de Mike Tyson. Il serait capable de le transformer en hachis en quelques secondes. Et pourtant c'est vraiment un mec gentil et doux. Adossée dans le couloir, la tête baissée, je fixe mes pieds et j'attends Vince. La première fois que je l'ai rencontré, j'ai ressenti un mélange étrange de peur et de rire. C'était la nervosité certainement, ou pas. Vince est une parodie à lui tout seul. Directeur de casino, fils d'immigrés italiens, ce type est un condensé de clichés. Tout, de son attitude, de sa démarche, de ses vêtements est inspiré du cinéma. Ça, c'est pour la partie où il me fait rire. L'autre face c'est un bloc ! Un physique de bûcheron canadien, et un visage aussi fermé que le coffre de la Banque de France. Mais ce sont ces yeux qui impressionnent le plus. Ils ont cette couleur bleu menthe glaciale. Iceman. Rares sont les émotions qui transparaissent. Et pourtant lorsque sa main effleure mon bras et que mon regard croise le sien, j'y vois de la colère, mais il y a autre chose, on dirait presque de la pitié, non pas de la pitié. Plus étonnant encore de la compassion.

-Katerine. Sobre, sec, direct.

Sa belle voix grave me fait frissonner avec ce vibrato bien particulier. Elle me rappelle tellement celle de mon père. Le timbre est le même profond, lent et pourtant si différent. La voix de Vince est comme un staccato, sec et bien rythmé tandis que la voix de mon père avait une chaleur jamais retrouvée. Je me jette dans ses bras, ma tête contre son torse.

-Vince, je ne savais plus où aller. Je peux rester un peu avec toi ? Pas longtemps, mais là, je suis complètement perdue.

*1 Betty Page est un célèbre mannequin américain des années 50, une des premières playmates a avoir posée nue pour Playboy et notamment remarquée pour des photos de BDSM, bondage. NDA

Sommer Love ( en contrat avec Butterfly Editions)Where stories live. Discover now