Chapitre 18

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Quand elle descend du navire, elle ressent la joie de fouler à nouveau la terre ferme. Elle a beau avoir aimé le voyage, retourner dans les rues pavées de la ville qu'elle connaît si bien n'a pas de prix. Elle regarde autour d'elle, aux aguets, prête à découvrir toutes les choses qui auraient pu changer en son absence, depuis l'empire. Les habitations se chevauchent, quoi qu'encore espacées par de petites placettes italiennes dont ces villes du sud ont le secret. Les marchands parlent autant de langues, si ce n'est plus. Et soudainement, tout ce en quoi elle avait put croire la ramena à un point. Peu importe les époques, peu importe la vie, un chez soi reste toujours chez soi.

Il observe aussi les alentours. Peut-être voyait-il la ville plus grande. Naples est assez... particulière. Il n'aime pas l'odeur, il n'aime pas l'attitude des gens qu'il croise, ni la manière dont ils la regardent. Mais la voir sourire lui fait oublier quelque peu les désagréments qu'il rencontre dans cette ville plus au sud qu'il ne l'a jamais été. Il la suit sans mot dire, les yeux plissés sous la lumière. Les anciennes architectures restantes de l'empire sont magnifiques, il ne peut pas le nier. Elles sont bien plus grandes que tous les vestiges qu'il a pu voir en Gaule et pourtant, leur taille ne l'impressionne pas tant que cela.

Doucement, il sent sa main glisser dans la sienne pour l'emmener à un endroit bien précis. Il se laisse faire, silencieusement. Pour quoi faire, de toute manière, il ne l'entendrait certainement pas avec les cris des poissonniers environnants. Elle le fait passer par de petites ruelles mal éclairées à l'odeur nauséabondes, par des places de marché bondées, par des nombreux escaliers et pour finir, elle lui fait escalader une façade, à l'abri des regards. Il jette un œil aux alentours. La vue est magnifique.

« C'est toujours aussi beau. » Elle soupire et il tourne la tête vers elle. Elle semble heureuse. Tout simplement heureuse. Elle n'est pas venue ici depuis soixante-quinze ans, mais rien ne semble avoir changé. Elle serre sa main plus fort dans un élan de joie et la lâche subitement, en prenant conscience de son geste. Elle n'ose pas poser les yeux sur lui. Que pense-t-il à cet instant ?

Il fait mine de ne rien remarquer alors que son cœur bat plus vite, tellement plus vite. Il perd son attention dans le décor somptueux que lui offre la ville qu'il ne connait pas. A ses côtés, Azalaïs pousse un soupir de contentement, le sourire aux lèvres.

« Tu as vécut ici longtemps ? » Elle tourne la tête vers lui.

« Un peu. Oui. Toute une vie. Il y a longtemps. Pas tellement pour toi. Mais assez pour que personne ne me connaisse de son vivant ici. » Le vent s'arrête sur eux une seconde, les enroule, avant de poursuivre sa route, comme un esprit libre.

« Viens. Allons manger. Je meurs de faim. » Il hoche la tête. Son ventre commence à lui donner des nouvelles à lui aussi. Il la suit.

« Je t'avoue que je ne sais pas où je vais. Je ne connais pas bien l'endroit. Enfin, je ne connais pas les tavernes et les auberges. » Ils finissent par demander, après s'être épuisés à chercher en ville. On leur indique, contre quelques trop généreuses pièces un endroit où la nourriture semble convenable.

« J'aurais dû demander au Capitaine. Désolée. » Il grimace.

« Je ne t'en veux pas. Laisse-le là où il est. Il fait moins de bruit. » Elle rit.

« Une chance que nous n'aillons pas voyagé plusieurs jours de plus, tu l'aurais jeté à l'eau. » Il hausse les épaules, visiblement pour l'idée.

« Je n'y ai pas pensé. Dommage. » Elle pose son couvert et demande :

« C'est lui qui te rend maussade comme ça ?

-Non.

-Menteur. Tu ne sais toujours pas mentir.

-Sauf qu'habituellement, les gens n'ont pas assez de courage pour me le faire remarquer. Donc. Pas besoin d'apprendre.

-Je pense que si. Il n'y a pas pire mensonge que celui que l'on se fait à soi-même. » Ils reprennent la route après le repas infecte, direction la Grèce.

« Tu verras, Athènes, c'est magnifique. On n'aime pas les étrangers, mais ça vaut le détour. Et la culture ! C'est tout simplement incroyable.

-Dis, tu vas parler de tous les endroits dans lesquels on va passer comme ça ? » Elle fait une grimace vexée.

« Je ne te savais pas si taciturne. Mal dormit ? » En vérité, il n'a pas dormit du tout, mais tant pis. Il n'a pas cherché longtemps le sommeil, il n'est tout simplement jamais venu. Une pensée lui traverse l'esprit et son visage s'illumine :

« Mais je connais quelqu'un là-bas !

-Quelqu'un qui est toujours en vie ? Tu m'impressionne ! » Il se tasse sur sa selle et grommelle. Elle fronce les sourcils.

« Tu vas bien ?

-Oui. » Répond-il sèchement. Il donne un léger coup de talons à sa monture qui après une brève hésitation se met au petit trot. Eberluée, Azalaïs reste un peu derrière, sans avoir la moindre idée de ce qu'il pouvait bien avoir. En vérité, ce qu'il y avait, c'est qu'Orion a passé la nuit à se demander si une femme comme elle pouvait vouloir d'un homme comme lui. Il n'est pas si facile à vivre. Et puis... si elle tombait amoureuse d'un autre dans une autre vie ? La question l'avait résolu à prendre de la distance avec sa camarade de voyage. Derrière lui, elle se met à fredonner une chanson dans une langue qui lui est inconnue. Surprit, il finit par l'écouter avec attention. Bercé par la mélodie légère, il ne se rend pas compte qu'elle est à présent à côté de lui. Prit sur le fait, il lui arrache un sourire alors que lui renforce sa mauvaise humeur.

« Parles-moi. Je peux peut-être t'aider. » Et lui dire ce qu'il pense d'elle quand elle dort ? Jamais ! Ce qu'il pense est la seule chose qu'il peut encore garder secrète quand elle est près de lui. Il secoue la tête avec véhémence.

« Je ne pense pas que tu puisses être utile en quoi que ce soit. » Il se répète ses mots et tente de se rattraper :

« Ce n'est pas ce que je voulais dire, je...

-Mais c'est ce que tu as dit. J'ai compris, je te laisse tranquille. » Après ça, elle se mure dans un silence lourd qu'il ne parvient pas à lever. De toute la journée, elle ne parle pas une seule fois, que ce soit à lui, à l'aubergiste qui vient prendre la commande de leur repas, ou encore à la gentille serveuse au regard aguicheur. Quand il se couche le soir, dans sa chambre, il songe que finalement, elle ne tient peut-être pas à lui autant qu'il le croyait. Dans tous les cas, il a décidé de la laisser goûter au confort solitaire pour la nuit, des fois qu'elle ait besoin d'être seule quelques heures. Il pousse un soupir.

« Bonne nuit Azalaïs. » Murmure-t-il au noir.

Dans sa chambre, elle fulmine. Il lui fait des réflexions désobligeantes, il n lui adresse pas la parole de la journée pour lui demander comment elle va, il se permet même de la mettre dans une chambre à l'autre bout de l'auberge. Tout ça pourquoi ? Sans doute par ce qu'elle « n'est pas utile en quoique ce soit ». Elle rit jaune. Elle voulait juste l'aider.ces derniers jours, elle avait même crut qu'ils s'étaient rapprochés. Mais visiblement, elle se trompait : il n'a pas changé, il pense toujours que ce n'est qu'une femme et comme un boulet de prison. Elle serre les poings et tape rageusement du pied. Elle finit par retirer sa chemise trop grande pour aller e coucher. Elle est surprise de croiser son regard dans un miroir. Dire qu'elle ne l'avait pas remarqué avant ! Elle se détaille dedans sans pudeur. Peut-être qu'il ne la trouve pas à son goût, trop maigre, trop petite poitrine, trop peu féminine, les hanches trop serrées, trop musclée. Oui, c'est possible. Elle se mord la lèvre inférieure, les mains de chaque côté du bassin. Epuisée par l'ampleur de sa réflexion, Azalaïs s'allonge sous les draps. Elle verra demain.

L'œuvre sans nomWhere stories live. Discover now