Un pied dans le Présent

58 3 2
                                    

Tokyo, 2018

Une goutte d'eau sur la vitre. Transparente et pourtant gorgée de couleurs, un prisme du ciel venant finir sa vie parmi les nôtres, apportant avec elle tous les reflets du monde extérieur. Parfois, nous pouvons nous voir dedans, miroir caricatural de nous-mêmes. Mais qui peut dire avec certitude qu'elle ne montre pas la réalité, et que c'est notre vision, à nous, qui est en temps normal déformée ? Peut-être était-elle seulement un messager, pour nous apprendre à voir ? Kamiya observait ce dernier vestige d'une pluie passée, laissant la matinée humide faire place à l'après-midi ensoleillé, l'extrémité d'un crayon de papier entre ses lèvres, rêveur. Il songeait à cet instant au parcours professionnel d'une goutte, ses pensées, ses envies, regrettait-elle quelque chose au moment de finir sa vie ? Quels étaient les amis, les ennemis, les phobies, de cette petite perle d'hydrogène respirant ? Il gribouillait oisivement quelques notes dans son carnet :

Confidences : Journal Intime d'un Jour de Pluie...Cuisine : Goutte'z à la vie !...Romance : La Technique du Goutte à Goutte...Santé : Victime d'une crise de Goutte, que faire ?...Test : Êtes-vous plutôt Pacifique, Casse-...Pien, ou Egée-rie ?...Conseils : 10 astuces pour parfaire votre vie de Goutte !

Soupir. Il aimait énormément son travail au sein du magazine "Edo, Ré-mi", qui lui laissait la chance de laisser libre cours à son imagination. Il adorait écrire tous ces articles, plus inventifs les uns que les autres, et ressentir la fierté de ses publications. Pourtant...Il enviait cette Larme des nuages, qui connaissait probablement très bien sa place et son rôle dans l'univers. Lui se sentait inutile, et pire encore, à part. Il ne comprenait pas souvent les gens qui l'entouraient, ressenti par ailleurs réciproque, leurs goûts, leurs manières de penser, leurs sujets de conversation...Il semblait être si loin de ce monde, et s'en voulait de ne pas réussir à s'y intégrer malgré tous les efforts constants qu'il faisait. Il avait honte de ne pas rire aux mêmes blagues ou ne pas avoir les mêmes réactions que le commun des mortels. Pourtant, il aimait ces gens. Toujours un sourire, rarement une réponse négative. En rendant service, peut-être se sentait-il un peu plus complet...sans réussir à l'être tout à fait.

Aaah...Il croisa les bras derrière sa tête et s'étendit, les pieds croisés sur son bureau, se balançant au son grinçant de son fauteuil, en ne quittant pas du regard le plafond immaculé. Immaculé ? Son regard fixait sans relâche une trace qui y était imprimée. Une trace de chaussure, précisément. Comment était-elle arrivée là ? Est-ce que, pendant son absence, le personnel marchait sur les murs, et au plafond ? Ce qui expliquerait cette impression que le Monde marche sur la tête. Mais pourquoi une seule trace ? Etait-il possible que l'explication soit plus...surnaturelle ? Le bureau serait-il hanté par une âme en peine fantômatique et de toute évidence unijambiste ? Ou alors, était-ce un point commun chez tous les esprits ? Il imaginait le slogan de la Guilde des Fantômes, afin de trouver des adhérants pour financer le confort de leurs vieux...os ? "Nous sommes morts...Ce n'est pas le pied !"

Il lui arrivait parfois de penser que son âme était un fantôme. Non, pas un esprit unijambiste, mais lorsqu'il essayait de penser à lui, de se représenter, il ne voyait qu'une silhouette floue, furtive, après qui il courait sans relâche sans ne jamais réussir à l'attraper. Une anguille de fumée...Tiens, il mangerait bien de l'anguille fumée à son prochain repas, il lui semblait ne pas en avoir mangé depuis une éternité. D'ailleurs, à ce propos, saviez-vous que l'ang...

-KAMIYA ! Est-ce que je peux t'aider ?!

Sursaut. Voilà qu'apparaissait un des démons du pigiste : son patron. La veine qui naissait sur sa tempe battait si fort, mettant en exergue son visage devenant violacé par la colère. Kamiya déglutit difficilement, il sentait venir s'abattre sur lui une future foudre aux notes tonitruantes. Si s'accompagne une pluie de postillons, alors peut-être que la météo s'était fourvoyée...Goutte traîtresse. En réalité, il n'était pas fier. Il détestait ses cris, et pire que tout, l'humiliation qui allait suivre...Bien que ses articles soient aimés et félicités par les lecteurs, son supérieur trouvait toujours un prétexte pour le rabaisser, et si possible, devant témoins. Et personne ne prenait sa défense. Dans ces moments-là, il se sentait plus seul encore, alors il laissait place à son unique amie : la Reine Imagination. Devant lui se tenait à présent un dindon vociférant. Mmmh...Non. Trop soft. Un dindon avec une coiffe indienne ? Mieux. Oh je sais, un dindon avec une coiffe indienne tenant une pancarte de grève sur laquelle nous pouvions lire : "Thanksgiving, nous ne te disons pas Merci !"

Fou rire. Ses éclats de rire résonnaient dans tout l'étage, portés par l'écho des murs bien mal insonorisés, et étaient, semble-t-il, communicatifs.

...Ou pas. Certains collègues étaient outrés d'un tel manque de discrétion et de tenue, quant au chef, non Indien, de ces lieux, il était désormais fulminant.

...Il était temps de trouver une excuse pour s'envoler, ne souhaitant pas se voir transformé en descente de lit. La peau d'un pigiste vaut-elle plus cher qu'une peau de tigre éhonteusement braconné ? Peut-être une idée d'article...

Has llegado al final de las partes publicadas.

⏰ Última actualización: Jun 19, 2018 ⏰

¡Añade esta historia a tu biblioteca para recibir notificaciones sobre nuevas partes!

Oracle, Ô DésespoirDonde viven las historias. Descúbrelo ahora