51- Les Osborn

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Foutu déjeuner... La visite de ma tante m'était totalement sortie de l'esprit. Le saladier passa devant moi une première fois, puis une seconde. J'observai ma tante tant que la vue était dégagée : Margaret Osborn, femme de solide constitution, aux boucles d'un blond plus cendré que celui de ma mère. Elle était vêtue d'un élégant chemisier blanc à dentelle que des boutons bombés et nacrés refermaient avec soin. Elle portait une longue jupe rose exempte de plis qui remontait jusqu'à sa taille, solidement fixée par une fine ceinture de cuir noir. Ses bijoux, bien que peu nombreux, n'étaient pas discrets. Elle portait des boucles d'oreille assorties aux boutons de son chemisier, une alliance 18 carats ainsi qu'un collier de perles dont j'avais entendu la genèse mille fois durant mon enfance. Chaque perle avait été soigneusement prélevée dans une huître importée et valait donc à elle seule toute l'argenterie disposée sur la table spécialement pour l'occasion.

— Jolie nappe, n'est-ce pas William ? lança-t-elle à l'attention de son mari.

Assis à sa gauche, mon oncle William hocha mollement de la tête. C'était un homme placide qui ne disait jamais non à rien, et certainement pas à sa femme. Plutôt mince, il portait sa cinquantaine avec élégance et retenue. Il avait les cheveux châtains, coupés court, ainsi qu'une épaisse moustache qui garantissait à l'enfant que j'étais lorsque je passais mes vacances chez eux son «statut de papa».

Près de lui se trouvait ma cousine Lucy, première née des Osborn. Nous avions le même âge, mais nos similitudes s'arrêtaient là : Lucy était d'apparence délicate et distinguée. Ses cheveux châtain clair, soigneusement lissés, formaient un superbe chignon sur lequel elle avait forcément passé un temps considérable. Exception faite des bijoux, elle ressemblait à une version miniature de sa mère : un chemisier brodé, une jupe longue, des chaussures d'écolière. Pas de bijoux. Si elle avait l'attitude guindée de sa mère, son caractère lui venait directement de son père : calme, discrète. Effacée.

À côté d'elle se trouvait Adam, un petit garçon âgé de sept ans. Mon cousin était, comme sa sœur, tiré à quatre épingles : une chemisette à manches courtes boutonnée jusqu'au cou, un pantalon sobre et des chaussures de messe. Ses cheveux châtains, bardés de gel, avaient été plaqués en arrière sur son petit crâne rose. L'ensemble lui donnait l'air d'un petit vampire de bonne famille. Enfin, dernier rejeton des Osborn et non des moindres : Herbert, le grand golden retriever blanc de la famille. Le gros chien restait posté entre la télévision et la fenêtre du salon qui communiquait avec la salle à manger.

Méfiant, l'animal ne me quittait pas des yeux.

Pour ma part, j'avais le plus grand mal à gérer de front toutes ces personnalités. Je concentrais l'essentiel de mes efforts sur ma tante, tyran officiel de la famille, et sur mon cousin qui s'amusait à me faire des grimaces dès que l'œil sévère de sa mère le quittait. Mon oncle William ne commentait que la salade de crevettes et Lucy se contentait de sourire à tout le monde.

— Et qui avons-nous là ? demanda subitement ma tante en se penchant vers Kila.

La pauvre avait été placée en bout de table. Bien qu'à côté de moi, cet emplacement lui conférait une visibilité dont elle se serait bien passée.

— Une camarade de classe d'Eden, répondit ma mère. Encore un peu de crevettes, Kila ?
— Merci madame, accepta poliment l'intéressée.
— Votre prénom n'est pas commun, remarqua Margaret. De quelle origine est-ce, jeune fille ?

Mes mains se raidirent sous la nappe bleu pastel. La dernière chose que je souhaitais était d'exciter le radar de ma tante à propos de Kila.

Kivari #1Where stories live. Discover now