Amère désillusion

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Seule, allongée dans mon lit, je pars, je m'évade dans mes pensées. Encore. Je m'imagine pour la centième fois, non la millième plutôt, lui dire. Je voudrais lui avouer ce que je ressens pour lui, cela fait six mois que je me braque au dernier moment. Six interminables mois où je finis toujours par flancher, et à me retrouver en larmes dans mon lit. Six longs mois où je bois pour oublier et me donner du courage, en vain.

Ce soir, c'est ma dernière chance. Je ne supporte plus de le voir, d'être une simple amie pour lui. Je finis toujours par l'admirer, décortiquer chacune de ses paroles, la moindre de ses actions. Je suis la reine du sous-entendu derrière les mots, caché sous les actes. Je m'imagine qu'il m'aime à la folie, qu'il ne peut plus se passer de moi, qu'il n'attend qu'un signe de ma part et que je finisse dans ses bras. Je révasse. Encore. Mais dès le lendemain, c'est une nouvelle désillusion. Ne serait-ce pas une amie à moi qu'il dévore avec de grands yeux amoureux, depuis quelques minutes, ne serait-ce pas une envie de la faire rire sous ses blagues, de la rendre amoureuse ?

Ce soir, ce ne sera pas mon imagination débordante qui bercera ma vie mais bien des pleurs, répétés et abondants. Et je me lamente sur mon sort en me demandant pourquoi je n'aurai pas le droit au bonheur moi aussi. Pourquoi c'est elle qu'il observe et non moi avec des yeux pleins d'amour.

Et cela recommence. Encore. Toujours.

Ces six mois sont les plus tristes de ma brève existence. Les plus joyeux aussi. En tout cas, les plus intenses. Je vis au jour le jour, passionnément, ayant pour seul but de le voir toujours plus, de passer toujours plus de temps avec lui. Quitte à en souffrir davantage, à me déchirer le coeur en le voyant observer mon amie, ou à bondir de joie en interprétant une parole ou un geste. C'est extrêmement difficile, j'ai des sautes d'humeur ; je suis très enjouée ou vite invivable. J'essaye de prendre sur moi, mais il est déjà trop tard, je suis complètement accro. 

Un jour, quasiment certaine que ce n'est pas moi qu'il aime, je prends une paire de ciseaux, et, de rage et de douleur mélangées je les passe sur mon bras. Etrangement, je me sens mieux, comme liberée. C'est fou ce que les ciseaux emportent mes émotions, en même temps qu'un peu de peau et de sang. Je ne fais jamais assez fort pour que les marques se voient au bout de quelques jours mais dans ces moments là, mon bras n'est vraiment pas joli à voir. Moi qui adorait les tee-shirts manches courtes et autres débardeurs, je me mets à cacher mes marques sous des gilets, des pulls, ... Je faisais croire à ma famille, à mes amis que tout était normal, que j'allais bien, pas de problèmes. Je souriais, riait en apparence mais dès que j'étais seule je m'effondrais. Je tenais difficilement, la vie était devenue très dure avec moi. Je m'enfonçais de plus en plus, comme une drogue dont le seul remède est de le voir, qu'il me parle ou me sourit. J'étais accro, c'est un fait. Bien trop accro. Et c'est toujours le cas.

Je ressors de mes pensées. Aujourd'hui est le jour fatidique. Dans quelques mois, très peu de temps, en réalité, nos chemins vont diverger pour de bon. Sauf, sauf, si nous avons une bonne raison de continuer de nous voir. De toutes les manières, il faut que cela s'arrête, je n'en peux plus de mourir à petit feu, de ressentir cette douleur permanente, ce court espoir et de retomber encore plus bas après une nouvelle désillusion. J'ai donc décider de lui dire ce soir, pendant la soirée entre amis.

Comme à chaque fois que je sais devoir le voir, je mets un soin tout particulier à ma tenue, mes bijoux, mon maquillage, ... Tout doit etre parfait. Je dois être parfaite.

Quelques heures plus tard, nous nous retrouvons tous et commençons à faire la fête entre amis. Tout le monde s'amuse, il y a de la musique, de l'alcool et c'est agréable d'être de nouveau tous ensemble. La boule dans mon ventre grossit. Je jette un coup d'oeil à mon bras. Pas de marques visibles, j'ai réussi à me retenir, difficilement mais réussi tout de même.

Les heures passent, à danser, à parler, se remémorant de bons souvenirs, à jouer entre nous. La nuit est bien avançée, certains ont beaucoup bu, et moi me retrouve quelque peu pompette, ayant voulu rassembler quelques bribes de courage éparses. Il n'y en a guère et je suis toujours telle un cheval qui renaclerait devant l'obstacle.

Il annonce qu'il va se coucher, il a beaucoup bu et mes amis me pressent de l'accompagner. Il faudrait le surveiller un peu. En passant, ils m'adressent des clins d'oeil en me disant "courage c'est le moment ou jamais". Une petite voix au fond de moi a bien envie de leur répondre que jamais ce serait aussi bien mais ils semblent décidés et je ne peux pas rester sans savoir ce qu'il pense de moi.

Je l'accompagne à sa tente, l'aide à se coucher, règle meme son réveil et sort. Je me suis encore dégonflée. 

Je prends une grande inspiration et retourne dans la tente. "Dis moi, est ce que tu voudrais sortir avec moi ?" Une déclaration pitoyable. Dans les milliers de scénarios que je m'étais imaginée jamais ceci ne m'était venu à l'esprit. Pas plus que sa réponse, d'ailleurs. "Je suis désolé mais non". Il était "désolé". Mais. Mais. Mais. Comment est ce que j'aurais pu tomber plus bas. Maintenant, au lieu de l'amour que je devais lui inspirer il ne ressent que de la pitié. Je sors de la tente, sonnée, en baragouinant quelque chose et fais plusieurs pas. Un ami me croise et me demande en riant pourquoi je n'étais pas dans la tente à "dormir" avec lui. Sans un mot, je m'effondre en pleurs sur son épaule. Il se tait, confus et ne sachant que faire. Je décide de retourner à l'intérieur de la maison et de noyer mon immense chagrin et ma désillusion atroce dans l'alcool et la présence de mes amis. Je prends la plus grosse cuite de ma vie, j'en viens meme à courir pieds nus sur la route vers quatre heure du matin et à tomber sur le bitume et à me coucher les genoux en sang.

Le lendemain matin, les dras étaient tachés, le paillason et le sol aussi, je ne ressemblais à rien et j'avais une gueule de bois monumentale. De plus, mon coeur était toujours en mille morceaux et en parlant avec lui, pendant le petit déjeuner et au regard gêné qu'il posa sur moi en me redisant qu'il état désolé je me rendis compte que malgré les litres d'alcool qu'il avait ingurgité, lui, n'avait pas de trou noir, pas de moment manquant de la soirée, et encore moins, celui là. J'avais parié dessus en me disant qu'au moins il ne se rappelerait pas, que je n'aurais pas à essayer de faire avec sa pitié puisque tout serait oublié. Hélas !

Quelques heures plus tard, tout le monde quitta les lieux. Nous n'allions pas nous revoir de sitôt.

En effet, je pleurais encore un autre mois, m'apitoyant sur mon sort avant d'essayer de passer à autre chose puisque je savais pertinemment que je n'avais aucune chance. Mon esprit est un peu têtu je l'admets.

Mais petit à petit, il n'occupait plus mes pensées, finit meme par en sortir complètement. Je m'ouvrais à d'autres horizons, de nouvelles personnes, un nouvel amour.

Je le revis quelques mois après. J'eus un petit pincement au coeur, ce n'était pas facile pour moi, il avait occupé tellement de mes rêves et de mes cauchemars. Mais je mis tout cela de côté et l'on se quitta bon amis, sans rancune. Il m'arrive encore de le voir, de prendre un verre avec lui, entre amis. Cela a été un moment difficile de ma vie, je n'étais pas prête à avoir des sentiments aussi forts, une passion aussi dévorante que je ne savais pas gérer, encore moins freiner. Mais, maintenant c'est derrière moi et je continue à avancer, avec ce souvenir.

Amère désillusionWhere stories live. Discover now