première partie

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Une brève expiration, une énième inspiration. Des lèvres qui se séparent un peu, un souffle nerveux qui s'échappe. Des muscles fatigués qui répondent à des ordres mécaniques, un corps qui déambule.

Cet enchaînement quotidien, Jeongguk le connaît peut-être même mieux qu'il ne se connaît lui-même. Même s'il n'a jamais souhaité l'être, il est devenu le chef d'orchestre de cette harmonie un peu trop parfaite, un peu trop maîtrisée. Il aurait préféré donner ce rôle à un parfait inconnu, peut-être même un ami précieux, n'importe qui mis-à-part lui. C'est peut-être égoïste mais qu'importe; il ne prétend pas le contraire. Il aurait aimé que quelqu'un le libère de cette vie à laquelle il était solidement enchaîné alors qu'il ne le voulait pas, qu'il ne le voulait plus. Il en a assez de ces regards moqueurs, de ces murmures accusateurs. Il en a assez de ces bousculades « accidentelles », de cet isolement « involontaire ». Jeongguk en a assez de ce harcèlement continuel, étouffé derrière le brouhaha assourdissant que sait produire la foule lorsqu'on lui lance une victime comme on lance un morceau de steak à un lion enragé.

Dans un autre contexte, la bêtise humaine lui aurait peut-être peu importé. Il aurait lancé un regard désabusé à cette meute rassemblée face à une unique petite proie puis se serait éloigné, s'il n'était pas lui-même dans le mauvais rôle.

La victime, c'est lui.

C'est lui, pourtant il ne parvient pas à comprendre pourquoi. Allongé au sol le regard tourné vers l'ailleurs, il a cherché des réponses. Il a cherché une explication, ne serait-ce qu'une seule, qui justifierait le comportement que les autres élèves avaient adopté avec lui dès sa rentrée scolaire dans un établissement parfaitement banal. C'est peut-être dû à son physique ? C'est peut-être dû à son caractère ? C'est peut-être dû à lui-même ? C'est peut-être dû à sa vulgaire existence. Il n'y a rien qui justifie le harcèlement dont il est victime, rien qui justifie les insultes qui lui sont réservées, rien qui justifie les coups qui lui sont destinés. C'est certainement ça, le plus terrible; il n'y a rien, pourtant il y a bien quelque chose. C'est lui comme ça aurait pu être la jeune fille qui passe à côté de lui à l'instant même, vulgaire nuage traversant un ciel anodin. C'est lui comme ça aurait pu ne pas l'être. C'est lui parce qu'il a fallu qu'il se trouve là au moment où la meute désignait sa nouvelle proie. C'est lui parce que. C'est tout. C'est absolument injuste. C'est, simplement.

Ainsi, puisqu'il avait été désigné comme la nouvelle victime aux yeux de tous ses camarades depuis bien trop longtemps à son goût, Jeongguk ne s'étonne pas en ressentant une poigne féroce emprisonner son avant-bras. Il n'esquisse pas un mouvement lorsqu'il se retrouve soudainement plaqué contre l'un des nombreux casiers laissés à disposition des étudiants. Il ne fait rien, parce qu'il a abandonné. Ce n'est pas glorieux, ce n'est pas la réaction que l'on attend de lui, mais c'est ainsi, simplement. Le châtain ne prétend pas être un personnage héroïque, le protagoniste d'un roman qui se défendrait aussi bien qu'il défendrait les autres. Il ne veut pas de ça, il veut simplement que ça s'arrête. Alors il se dit que, peut-être, lorsqu'ils l'auront complètement brisé, complètement anéanti, ils en auront marre, eux-aussi. Peut-être qu'ils estimeront qu'un pantin au corps mutilé, quoique pas autant que son âme, ne sera plus un jouet suffisamment intéressant. Alors peut-être qu'ils le laisseront dans une paix approximative, qu'ils s'en iront, qu'ils chercheront une nouvelle victime. Il ne les en empêchera pas, parce qu'il ne désire qu'une chose ; que ça cesse. Que ça cesse, définitivement.

Il entend les voix désagréables de ses agresseurs qui sifflent des atrocités à ses oreilles mais pourtant, il lui semble être si loin d'elles, si loin de cette scène que tout le monde observe en se disant « heureusement, ce n'est pas moi ». Il distingue également les visages proches du sien mais n'y accorde aucune importance. Ce ne sont que des lèvres, des yeux parmi tant d'autres. Il ressent les coups qui lui sont portés, son corps réagit, mais son esprit s'en est déjà allé. Il s'observe entrain de mordre férocement sa lèvre inférieure afin de retenir un gémissement qui traduirait sa douleur. Il s'observe se tordre en deux sous ce coup qu'il reçoit en plein dans l'estomac. Il s'observe se coller contre le casier comme s'il allait parvenir à disparaître à l'intérieur. Il s'observe s'agiter, chercher en vain à se soustraire à la prise de ses assaillants. Il s'observe chercher à rendre les coups distribués, non pas parce qu'il veut défendre son honneur, mais bien parce que son instinct primitif veut défendre sa vie.

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⏰ Last updated: May 26, 2018 ⏰

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