11. Confiance

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Une goutte glisse dans mon cou, glaciale, hérissant mon dos d'un frisson violent, alors que je presse mes doigts contre sa peau, brûlante. Mes mains glissent, empreintes de son sang, qui afflue sans cesse contre ma paume.

Ses cheveux pleurent contre mon épaule, là où son visage livide est posé, et une autre goutte tombe de ses mèches collées par la pluie, roulant lentement à travers mon T-shirt, à présent écarlate.

Il respire faiblement, son souffle sifflant au travers de ses lèvres blessées, essayant tant bien que mal de m'aider à avancer. Mais ses jambes ne suivent pas du tout la cadence et butent péniblement contre chacune des marches.

Enfin, je m'appuie contre ma porte d'entrée, la poussant d'un coup de pied mal habile, pour nous cacher à l'intérieur, laissant le garçon blessé sortir de notre étreinte douloureuse pour se laisser tomber au sol, tremblant de douleur.

Ses yeux sont invisibles derrière ses cheveux humides, mais son visage est basculé en arrière, contre le mur, sa pomme d'Adam frémissant furieusement, alors qu'il cherche un point sur son flanc du bout des doigts.

Je reste là, incapable de décrire le moindre geste, l'observant sourire alors que son corps se tend de souffrance quand il trouve enfin la plaie sur ses côtes saillantes.

A-Attends, je lui dis, f-faut pas que tu fasses ça là.

J'ai peur.

J'ai peur de lui.

J'ai peur pour lui.

Et il le ressent. Comme un animal sauvage, il capte mes émotions, attentif, furtif, et s'éloigne brusquement de moi lorsque j'essaye de m'approcher, laissant une traînée de sang derrière lui.

E-Écoute, je murmure, la salle de bain est pas loin. Tu seras mieux là-bas, je te le promets...

Il relève alors son regard dans le mien, bouillonnant. Et je lui tiens tête, sans ciller, luttant comme je peux contre la peur qui me broie les tripes.

Il ne parle pas, mais se met à tousser, ses lèvres détruites se couvrant de sang noir.

Sans lui laisser de répit, une nouvelle quinte de toux le prend, son être entier se courbant de douleur, alors que ses yeux ne quittent plus les miens.

La lueur dans ses prunelles s'apaise enfin, et doucement, il tend un bras vers moi, résigné. Alors, je l'attrape, soulevant encore une fois son corps amaigri pour l'aider à se traîner jusqu'au bac de douche où il se laisse choir.

Absent, je le vois allumer le jet d'eau chaude, alors qu'il se débarrasse de ses vêtements.

Un océan de bleus naît sur sa peau à mesure qu'il tire sur son haut, dévoilant de multiples coupures violettes, boursouflées et autant d'hématomes jaunâtres. Peu importe où mes yeux se posent, ils rencontrent une plaie, béante, cicatrisée, ou infectée.

Sur son ventre, horriblement maigre, un vieux bandage imbibé de sang se détache, découvrant un coup de couteau profond que je devine être celui qui hantait mes rêves depuis sa disparition. Celui qui avait alourdi son T-shirt dans la nuit; cette nuit où je lui avais tendu une main qu'il avait refusé.

Chacun de ses muscles tremblent sous sa peau, et malgré l'eau qui délasse son corps, son sang continue de tourbillonner sur le sol, disparaissant dans le siphon, à la même vitesse que la vie s'enfuit de ses yeux tournés vers moi.

Son crâne vient alors toquer contre le mur, et ses paupières tombent, ses longs cils sombres caressant ses joues bleues dans un soupir épuisé.

Je me précipite, coupant l'arrivée d'eau, épongeant son corps fragile, alors qu'il essaye de me faciliter la tâche, en remuant sensiblement quand je tente d'atteindre une parcelle de peau meurtrie inaccessible.

Appliqué, le cœur étreint d'inquiétude, je bande ses côtes qui se soulèvent encore, faiblement, voyant de petits rictus heureux se dessiner sur son visage quand je lui fais mal.

A chaque fois que j'appuie sur ses blessures, un sursaut de douleur l'étreint, sa main étouffe mon poignet et il enfonce ses ongles dans ma peau, cambré.

C'est bientôt terminé, je le rassure, alors que mes doigts s'activent sur son corps déchiqueté. Ça va aller.. Tu vas t'en sortir...

Mais j'ai l'impression de ne parler que pour moi-même. De parler pour m'assurer qu'il va vivre encore. De parler pour occuper ce vide immense, à peine troublé par sa respiration souffreteuse.

Regarde, ça y est, j'ai fini, je soupire en m'essuyant le front, tremblant de tout mon être.

Il ne dit toujours rien, mais ouvre de nouveau ses grands yeux brillants, et semble me remercier silencieusement, soulevant son crâne de la paroi humide dans une tentative pitoyable pour se redresser.

Bouge-pas, je vais te chercher de quoi te réchauffer d'abord, je lui dis.

Et contre toute attente, il obéit, s'affalant de nouveau dans la cabine de douche, suivant de ses prunelles tremblantes chacun de mes gestes.

Pressé, je me rue dans ma chambre, en tirant un sweat bien trop grand pour moi, et un jogging, que je lui tends ensuite, lui disant de faire attention en les enfilant, pour ne pas rouvrir les plaies que j'ai consciencieusement désinfectées et parfois même recousues, comme ma mère me l'a appris.

Son corps brisé, trop faible, noyé dans mes vêtements se lève enfin, et titube, s'appuyant un long moment dans l'encadrement de la porte, fixant mon appartement plongé dans les ténèbres, s'arrêtant sur la baie vitrée du salon qui donne sur la rue, où la pluie s'abat toujours.

Je te laisse ma chambre cette nuit, tu ne peux pas partir dans cet état, je dis, à mi-voix, son visage se tournant bien trop brusquement vers moi, alors que ses traits jusque là relâchés, se tendent.

Encore une fois, il me foudroie du regard, ébranlé par la haine, et je vois sa mâchoire jouer sous ses joues creuses. Mais il ne bouge pas, sachant aussi bien que moi que ses jambes ne peuvent plus le porter. Sachant aussi bien que moi qu'il ne peut pas fuir.

Et c'est ainsi qu'il se résout à accepter mon aide, une fois de trop, s'agrippant faiblement à mes épaules, se laissant guider dans le couloir, avant de s'asseoir sur mon matelas, en manquant de nous faire tomber.

Et il reste là, observant mon visage couvert de sang sec, le brûlant intensément, comme avant.

Et je reste là, observant ses traits calmes s'endormir lentement, ses cheveux nuit plongeant dans mes draps immaculés, ses poings fermés remontant jusqu'à son visage qu'il cache, comme pour se défendre.

Comme pour dissimuler l'innocence peinte sur ses lèvres entrouvertes et ses yeux clos.

Comme pour se protéger des autres.

Se protéger de moi.

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「 Hargne - Nomin 」Where stories live. Discover now