Chapitre 0

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            Tic... Tac... Tic... Tac... Tic... Tac... Si seulement cette trotteuse arrêtait de me narguer dans un moment pareil. Sait-elle seulement que je joue la dernière carte que j'ai en main ? Ma dernière chance ? Pour qu'elle insiste autant, je pencherais pour un oui. J'étais loin de m'imaginer que même une horloge pouvait prendre un malin plaisir à jouer avec les nerfs des gens en détresse. Parce que oui, ça ne se voit peut-être pas à travers mon tailleur gris de gamme standard, mes cheveux châtains soigneusement relevés et mon visage se voulant neutre discrètement maquillé, mais je suis en détresse ! Je suis au bord du gouffre ! Et si je ne parviens pas à décrocher ce job, je ne sais absolument pas ce qu'il adviendra de ma vie. Et pourtant cette aiguille ne trouve rien de mieux à faire que de matérialiser le compte-à-rebours de ma propre explosion. Tic... Tac... Tic...Tac... Tic...

« Tu vas te taire, oui ? je cède alors agacée, mes yeux braqués sur le cadran. »

Une gorge se racle depuis le bureau de la secrétaire. Je tourne la tête vers la droite, un sourire embarrassé, prête à affronter le regard moralisateur de la binoclarde quarantenaire, que j'ai osé déranger dans sa séance clandestine de manucure.

« Euh... Désolée... »

Elle s'en retourne à son occupation avec la plus froide des expressions qu'on peut lire sur un visage. Ca sent la célibataire désespérée à plein nez, vivant seule dans son mouchoir de poche à deux pièces avec son Yorkshire... Non, pas Yorkshire... Elle n'a clairement pas la tête assortie. Un Jack Russel peut-être ? Ca peut être hargneux, ça, un Jack Russel !

Ses iris se lèvent à nouveau en ma direction et me poignardent avec insistance. Qu'est-ce qu'elle a à me fixer comme ça ? Je n'ai rien dit, que je sache ! A moins que... Qu'elle lise dans mes pensées !?!?! Je détourne inconsciemment mon regard, comme prise en flagrant délit. Non, c'est impossible ! Ca n'existe que dans les séries TV et les œuvres de fiction. J'ose l'épier du coin de l'œil. Son faciès n'a pas bougé d'une ride, ses lunettes de sniper toujours braquées sur moi. Je me pince alors les lèvres, regarde mes genoux, le mur à ma gauche, la porte des toilettes en face, tout en me retenant de siffler ou de faire du tam-tam sur mes cuisses. Tic... Tac... Tic...Tac... Tic... Tac... Au moins, ce court affrontement m'aura fait oublier mon propre compte-à-rebours pendant quelques secondes.

La porte du bureau s'ouvre soudainement, brisant au passage ce faux silence et la séance de manucure de la secrétaire qui s'empresse de ranger son nécessaire dans un tiroir. Le souffle coupé par la surprise, je me lève, en prenant soin de défroisser ma jupe et d'ajuster la veste de mon tailleur.

« Miss Doubouteow ? m'interpelle alors le responsable de recrutement. »

J'acquiesce d'un signe de tête, m'armant de mon sourire commercial le plus resplendissant, et avance vers ce frais quarantenaire en costume trois pièces, légèrement grisonnant mais néanmoins séduisant, avec l'envie de corriger sa façon de prononcer mon patronyme au bord des lèvres.

« Bonjour, je le salue avec enthousiasme d'une franche poignée de main.

- Bonjour ! Par ici, je vous prie, m'invite-t-il à entrer dans son bureau, sa main caressant subtilement mon dos à mon passage. »

Je m'assois dans le confortable fauteuil qu'il m'indique, tout en faisant attention à ne pas trop prendre mes aises. Le temps qu'il fasse le tour pour s'installer dans son siège haut de gamme, j'observe la décoration classique mais criante de moyens financiers des lieux. Deux tableaux monochromes d'art moderne, une bibliothèque en merisier massif remplie de pavés sur la législation du travail et autres livres liés au domaine publicitaire, un écran de 60 pouces branché sur la chaîne de la bourse en sourdine, une paire de plantes vertes bordant la fenêtre, plusieurs cadres photos posés sur le bureau assorti à la bibliothèque... Je suis sûre que si je me penche un peu, je serai en mesure de voir... Non, Juliane ! Non ! Redresse-toi ! Tu es en entretien ! Ne fiche pas tout par terre avec ta curiosité légendaire !

On my Own : An American Nightmare & the Birthday CupcakesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant