Chapitre 6

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            Il est maintenant 22h16, selon l'affichage de ma box internet. Cela fait près de deux heures que Loïs a quitté les lieux, après m'avoir remercié pour le repas et s'être gentiment proposée de descendre les cartons de pizzas dans le local à poubelles du rez-de-chaussée. Depuis, j'ai passé le reste de la soirée à visionner le début de la première saison de CardCaptor Sakura, vêtue de ma tenue cocooning, composée de mon bas de survêt' bleu marine et un T-shirt félin. Cela peut paraître stupide, mais cet anime, aussi vieux et candide soit-il, a toujours eu le don de me changer les idées et, parfois même, de me remonter le moral. C'est ça, le pouvoir de la Kawaiiitude. Mais encore faut-il que la réalité à affronter après ce moment d'évasion ne soit pas aussi accablante.

Et alors que je fume à cette fenêtre du Living-room, ce qui sera certainement ma dernière cigarette en tant que locataire, je me remémore ces deux années passées dans ces murs. Je me souviendrai toujours de ma première visite du studio, le samedi 27 août 2016. Je m'en souviens, car il faisait une chaleur écrasante en cette fin d'été et qu'à cause d'une panne d'ascenseur, j'ai eu à gravir les quatre étages à pied, me retrouvant en nage une fois devant la porte de l'appartement, face à la jeune femme de l'agence qui me faisait visiter. Mais lorsqu'elle ouvrit la porte, ma fatigue, mon humeur grognon, tout s'était envolé à la découverte de ce Living-Room vide, qui sur le coup m'avait semblé aussi spacieux qu'une suite quatre étoiles. Alors oui, j'exagère. De Une, je n'ai jamais eu la chance de profiter d'une suite quatre étoiles ; de deux, comparé à la chambre d'internat que je partageais avec une fille vraiment horripilante, même une petite caravane aurait été un logement de luxe à mes yeux. Toujours est-il que je revêtais un sourire béat et des yeux étincelants lors de ma première entrée dans le studio. Peut-être parce que je pouvais enfin frôler l'indépendance la plus totale, expérience à la fois exaltante et angoissante. A chacun de mes pas dans cette pièce, mon imagination en meublait chaque recoin et en décorait chaque mur, le tout dans un style mélangeant traditionnel et contemporain japonais. Je savais pertinemment que je n'avais pas les moyens de m'offrir ce genre de fantaisies, et que je devrais très certainement me contenter d'un mobilier made in Ikea, au mieux. Mais rien que de savoir que je foulais le sol de mon premier "chez moi" me remplissait le cœur de joie, les yeux d'étincelles et la tête de rêves prétendant se réaliser. Et alors que je n'avais fait qu'une paire de mètres au cœur du studio, je m'étais retournée vers la représentante de l'agence, tout sourire, pour lui annoncer avec un enthousiasme sans faille : « Je le prends ! »

Je ne peux pas dire que j'ai vécu des moments forts dans cet appartement. J'y ai passé mes deux dernières années d'études, à travailler sans relâche. Pas une seule soirée, pas un seul invité, ne serait-ce même pour des révisions ou un projet de groupe. Je ne faisais que saluer poliment mes voisins, lorsque je les croisais à la boîte aux lettres, devant l'ascenseur ou dans les couloirs. Le peu de fois où j'avais un semblant de vie sociale, c'était lors de petites sorties que je m'autorisais un à deux soirs par mois, dans un petit bar à une centaine de mètres de là : le AYA. Je peux d'ailleurs en voir la devanture bleue turquoise, éclairée par les néons violets de l'enseigne, depuis la fenêtre. Il m'arrivait de participer à leurs sessions blindtest ou karaoke. Je suis même parvenue à sympathiser avec quelques habitués, à raison de quelques affrontements musicaux et de pintes de bières. En dehors de cela, on ne peut pas vraiment dire que je sois une créature sociale Et de ce fait, je n'ai pas forcément de souvenirs mémorables en ces murs... Mais jusqu'à demain, ils sont encore miens. Et c'est ce qui les rend aussi importants.

Je tire une nouvelle fois sur le filtre de ma menthol, avant de la délester d'un surplus de cendres dans le cendrier posé sur le rebord extérieur. Les yeux levés vers ce ciel nocturne partiellement voilé, je laisse la lune et les étoiles apaiser mon âme, comme hypnotisée par ce spectacle universel. Puis mes pupilles se focalisent à nouveau sur le AYA. . A combien de temps remonte ma dernière visite ? Six mois ? Huit mois ? Peut-être plus même, que je n'y aie pas mis les pieds. Je me demande s'ils pensent encore à moi, si cette petite bande de joyeux lurons que je me suis faite à mes dépends serait ravie de me revoir... une dernière fois... A quoi bon se poser la question... Après tout, ce ne sont que des connaissances... Enfin, je crois... Oh et puis pourquoi devrais-je m'en soucier... ?

On my Own : An American Nightmare & the Birthday CupcakesWhere stories live. Discover now