Jour 1

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   Ma mère pleure comme une madeleine.

   J'ai beaucoup de mal à retenir mes propres larmes. Non pas que je sois triste de toute cette histoire, mais voir quelqu'un aussi mal a le don de m'attrister au passage.

   Ce qui est fort dommage, non ? Je pars de chez moi, il n'y a pas situation plus satisfaisante que celle-ci ! Finie, la vie au crochet des parents ! Finis, les jours de colère et de disputes familiales ! Et mon dieu, finie la dépendance ! Je ne doute absolument pas de cette démarche. Quitter le toit parental, c'est un rêve, une libération. À dix-huit ans, c'est un but.

   J'ai dix-huit ans aujourd'hui, et c'est une réalité.

   OK, l'expérience sera flippante ! Jusque-là, c'est même assez effrayant. Tous les jeunes adultes de la ville ont dû déposer un dossier complet à la mairie, constitué d'une photo de profil, de divers détails identitaires, et nous avons tous été traînés devant un psychologue chargé de déterminer notre personnalité profonde. Il y a trois jours, trente d'entre nous ont été choisis en fonction de tout ça – sur quels critères, aucune idée !

   N'empêche que je fais partie des trente habitants de cette ville à être exilée dans un petit village au sommet de la montagne, à une demie-heure de notre foyer initial. Vous me direz, c'est super cool d'être délogée dans une maison construite rien que pour moi, et je le conçois ! Sauf que le jour où nous avons été élus, nous avons eu la sensation d'être tirés au sort pour faire partie des Hunger Games. Imaginez la grande place de la ville, noire de monde, bondée d'adolescents – mis en avant – et de leurs parents, et visualisez les grands écrans par-dessus une scène établie rien que pour l'événement.

   Ouaip, puisse le sort vous être favorable, comme on dit !

   Ma mère m'embrasse les joues une millième fois. Bref, tout ça pour dire que j'ai pas mal appréhendé et que toute la mise en scène du jour J m'avait un peu déroutée ! Hormis ça, rien ne change au fait que c'est probablement la plus belle opportunité de ma vie. Nouvelle maison, seule, avec des voisins tout aussi jeunes que moi, et tout aussi seuls que moi.

   Même si je n'ai jamais aimé les fêtes plus que ça (je suis plutôt la fille coincée dans son coin), je vais essayer de me déboucher le trou du cul et de me rapprocher des gens ! Il est grand temps de se refaire une réputation digne de ce nom, Immona !

-Tu te feras pleins d'amis, se réjouit ma mère en reniflant. Et tu auras peut-être ton premier petit-copain... !

   Qui lui dit que je suis hétéro ? C'est toujours drôle de suggérer le contraire ! Encore aujourd'hui on te regarde un peu bizarre quand tu le fais. J'ai une amie qui se tape de véritables barres et qui se plie sans cesse à des sous-entendus que très peu comprennent. Je me retiens de rire à me souvenir de ses hilarités. Ah ! Elle va me manquer ! Sur tous les habitants de la ville, il a fallu que je termine avec 100 % d'inconnus. Si tous se connaissent, je compte me pendre avant la fin de la première journée.

-Ne lui met pas ça dans la tête, grogne mon père dans le couloir.

-Jacques, ta fille a dix-huit ans...

   Ouais, la fille de dix-huit ans qu'il appelle encore crevette. Le concerné apparaît dans l'entrée et me jauge, moi et mes deux valises chargées. L'une est pleine de vêtements, de lutin remplis de dessin et d'un ordinateur pour écrire, et l'autre a été spécialement préparée par mon paternel. D'après lui, personne n'ira fouiller mes affaires, mais j'ai quand même peur de me faire prendre avec un baguage rempli de flingues en tout genre. Pour autant, je suis contente de savoir que je serai capable de chasser, là où je vais.

Au Clair du JeuWhere stories live. Discover now