Jour 2 (1)

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   Déjà, me réveiller dans un endroit qui ne m'est pas encore familier est assez perturbant. Mais alors, me réveiller parce qu'une fille hurle à pleins poumons dans la rue... ! L'expression « frôler la crise cardiaque » n'est même pas assez forte ! Y a intérêt à ce qu'il y ait mort d'homme !

   Bien que je sois agacée d'être sortie de mon lit aussi brusquement, ce n'est rien comparé au coup de pied accidentel que j'offre à ma porte de chambre, et ce avec mon petit orteil. Ne parlons pas du mur que je me mange ensuite parce que je me crois dans l'ancien appartement, et faisons impasse sur le fait de sortir du mobile-home en pyjama. Heureusement, je ne dors jamais en culotte, et je ne suis pas la seule à m'être levée il y a quelques secondes. Misslune dévale les marches de son perron, seulement vêtue d'un ensemble noir à imprimé licornes. Je me sens moins seule avec mon vieux bas rayé.

-Quelqu'un est mort ? Marmonne-t-elle blasée, quoique alertée.

-Je ne plaisanterai pas là-dessus à votre place !

   Nous dévisageons le garçon qui vient de la place, là où tout le monde se précipite. Métisse, il a des yeux en amande, un nez aplati et des joues creuses. Il doit faire un mètre quatre-vingt dix, et nous nous sentons aussitôt minuscules, enfin, plus que d'habitude. En trois secondes, il est à deux mètres de nous, scrutant les environs avec les mains dans les poches.

-Keith a retrouvé Tom mort, déclare-t-il.

   Même si je ne vois pas de qui il parle, je ne peux m'empêcher de plaquer une main contre ma bouche béatement ouverte. Je peine trop à respirer pour réagir autrement.

-M-Mort ? Bredouille Misslune. Je veux dire, pas ivre mort, hein ?

   Je comprends ses doutes. Beaucoup ont fini bourrés, hier soir.

-Allez voir vous-mêmes, mais si vous êtes trop sensibles, évitez (ses yeux noirs s'assombrissent). Ce n'est pas beau à regarder.

   Mon cerveau ne me demande pas mon avis. Je me surprends à taper un sprint le long de la ruelle en direction de la place, me fraye un chemin entre deux bungalows pour éviter de me tuer les pieds sur les cailloux du centre-ville, puis je freine et analyse la seconde rue du village. Misslune me rejoint en un rien de temps, mais il lui faut repartir, parce que j'ai déjà remarqué l'endroit où la foule s'est amassée.

   Il est ivre mort. Juste ivre mort. Je me glisse entre les habitants en pleurs ou plongés dans un silence saisissant, puis je me retrouve à l'entrée du mobile-home en chôme, et je parcours le salon jusqu'au fond. Kévin se tient dans le petit couloir qui s'ensuit, le poing contre les lèvres, les yeux dans le vide, appuyé contre l'encadrement d'une porte ouverte. Je ne sais pas comment interpréter son expression, mais la position extrêmement tendue de son corps parle d'elle-même.

   L'odeur m'atteint avant même que mes yeux ne trouvent Tom. En fait, je ne le reconnais pas, et pas parce que je n'ai pas prêté attention à lui avant aujourd'hui.

   Il est déchiqueté. Ses bras, ses jambes, il n'en reste plus que les os et quelques parcelles de muscle. Le dessus de son crâne a été découpé pour y extraire son cerveau désormais manquant, ses yeux ne sont plus là non plus, son nez n'est plus qu'un trou béant. Quant au haut de son corps... Il n'y a plus que du sang et une cage thoracique rongée au millimètre.

   J'aurai sûrement hurlé si le vomi qui me remontait dans la gorge n'avait pas été plus rapide que ma volonté. Je m'écarte de Kévin et de Misslune pour vomir de l'autre côté, dos à tout et à tous.

Au Clair du JeuWhere stories live. Discover now