Retour à la (vraie) vie

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L'hôtesse de l'air me salue avec un « Au revoir » au moment où je sors de l'avion. Je n'ai plus entendu cette langue, la mienne, depuis une escale au Canada, près d'un an auparavant. Le fond de l'air est froid quand je pose le pied sur le tarmac de l'aéroport. Je suis de retour dans ce pays que j'ai quitté si brusquement il y a près de trois ans.

Où qu'il se pose, mon regard rencontre des panneaux, des publicités pour des produits dont j'ignorais l'existence, tous écrits dans ma langue maternelle et que j'ai pourtant du mal à décrypter. J'esquisse un sourire en me souvenant que ma principale motivation pour partir était de découvrir le monde dans sa diversité et maintenant, c'est mon propre pays que je dois apprendre à redécouvrir.

Le président n'est plus le même, de nouvelles figures politiques se sont imposées, des personnalités sont décédées, d'autres ont pris leur place, des choses terribles se sont produites dans le monde et même si j'ai appris tout cela d'une façon ou d'une autre, je ne me sentais jamais concerné, enfermé dans ma bulle, tentant d'absorber la culture de chaque pays visité, de me fondre en elles pour ne faire plus qu'un et finalement, parvenir à la comprendre.

Je me sens en total décalage avec les autres passagers, un autre état d'esprit relayé par des souvenirs vestimentaires de mes voyages : bagues togolaises, collier tibétain, vieux jean râpé acheté en Espagne et chemise noire froissée portant un écusson de San Francisco pour mieux cacher un accroc fait lors d'une tentative d'assister gratuitement à un match des 49ers.

Mon bagage tarde à se montrer sur la piste déroulante alors qu'un par un, les autres passagers s'en vont. Tout le monde parle ma langue autour de moi et le choc culturel que j'attends depuis trois ans me percute enfin. J'augmente le volume de mon baladeur numérique pour faire taire par la musique ces voix que je parviens à comprendre et qui me rappellent que je ne suis plus unique.

C'est la différence majeure entre moi dans un pays étranger et moi ici. A l'étranger, je suis quelqu'un parmi tant d'autres alors qu'ici, je suis quelqu'un comme tant d'autres. La différence sémantique n'est peut-être pas énorme mais elle existe bel et bien à mes yeux.

Le sac à dos marron beige qui m'a accompagné et ne m'a jamais fait défaut au cours de ces années apparaît enfin. Je cours presque pour le prendre, sans le perdre des yeux une seule seconde. Je ne suis pas matérialiste en temps normal mais dans ce nouveau monde, je m'accroche aux visages connus dont mon sac fait partie. Je m'en saisis et le remet à sa place favorite, c'est-à-dire bien calé sur mon dos.

Je suis le flot des personnes qui sortent du terminal comme un troupeau de moutons du Kazakhstan et mon cœur accélère. Il est là, à m'attendre, bien habillé dans son costume trois pièces, comme sur les images de businessman que l'on voit dans les films. Je ne sais pas qui est le plus étonné des deux, et pendant un instant, nous ne faisons rien d'autre que se regarder, entourés par la foule dont la vie continue. Il fait un pas, sourit et finalement, nous nous prenons dans les bras l'un de l'autre.

- Cela fait du bien de te revoir, grand frère, me dit-il dans l'oreille.

Je ne réponds pas mais n'en pense pas moins. Il est devenu un adulte alors que je ressemble plus à un hippie de 28 ans déphasé de son époque. Le petit frère est devenu l'homme de la famille. Celui présent en tous cas.

- Allez, viens, ma voiture est garée par ici.

Je le suis, perdu dans la civilisation dantesque comme je l'étais dans la forêt équatoriale à ceci près que les sons sont différents. La cacophonie des klaxons, des moteurs est telle que je replace les écouteurs sur mes oreilles, le temps d'arriver à la voiture.

12 courtes histoires d'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant