V. Talon d'Achille

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V. Talon d'Achille

Lorsque je croise les pupilles d'acier de cet homme, mon sang ne fait qu'un tour. A vu d'œil, il est âgé d'une quarantaine d'années et sa carrure est si imposante qu'il ne peut laisser personne de marbre. Je suis moi-même intimidée face à ce regard dur, cette mâchoire carrée et cette prestance stupéfiante. Achille de Chamberlain n'est pas franchement le plus bel homme qu'il m'eut été donné de voir. Ses traits sont bien loin de la régularité merveilleuse qui se dégage du visage du Docteur Barante. D'ailleurs, une vilaine cicatrice couvre la moitié de sa joue gauche et son nez est sans aucun doute trop cabossé pour ne jamais avoir pris de coups.

Pourtant, quelque chose en lui m'attire instantanément.

- Ma belle Victoire, siffle-t-il lorsque j'arrive à sa hauteur. J'ai appris pour votre chute, je suis ravi de constater que vous vous portez comme un charme.

Il se saisit de ma main, sur laquelle il dépose un tendre baiser. Je souris face à cette attention galante, bien loin de celles des hommes de mon époque.

Hey, Mademoiselle, tu veux goûter à mon Kinder Bueno ?

- Ne vous en faites pas, mon cher Achille, il faut parfois savoir accepter de vivre avec sa maladresse.

Pour la première fois depuis qu'il a pénétré dans le château, l'homme m'accorde un demi-sourire. Il garde ma main dans la sienne pendant plusieurs secondes, puis me détaille de haut en bas, comme si c'était la première fois qu'il me voyait.

- Vous semblez tout de même... changée, m'informe-t-il, les sourcils froncés.

Je déglutis difficilement face à cette affirmation, consciente que la Victoire de la Renaissance, ne devait pas agir de la même manière. Soudain, l'idée de me faire démasquer me panique. Que m'arriverait-il s'ils pensaient que leur Mademoiselle de Lantis s'était envolée dans les airs ? Pourraient-ils croire qu'un esprit machiavélique s'est emparé de mon âme ? Pourraient-ils s'imaginer que je suis devenue une vilaine sorcière et ainsi me faire brûler sur la place publique ?

Respire, Vic', respire.

- Victoire, vous êtes toute pâle.

La main d'Achille empoigne soudainement mon poignet et la force qui se dégage de lui m'empêche de tomber dans les vapes. Il passe ses doigts sur ma joue avec douceur, tandis que je me redresse. Je ne suis pas du genre chochotte, ni même à croire aux voyages dans le temps, mais ce rêve me paraît si réaliste que je ne suis pas prête à prendre le risque de me retrouver pendue ou même pire. Il est clair que je me dois de faire profil bas et de tenter de comprendre comment mon alter-ego de l'Ancien Régime agissait envers ses pairs.

Je crois même que je n'ai pas le droit à l'erreur.

- Allons déjeuner, intimé-je, mes joues retrouvant leur couleur habituelle.

L'homme relâche mon poignet, puis me présente son bras, sous lequel je glisse le mien. Lorsque nous entrons dans la salle à manger, mon père est déjà présent, assis en bout de table, ainsi qu'une bonne dizaine de personnes inconnues au bataillon. Je me contente de les saluer, les uns après les autres, écoutant les conversations pour obtenir quelques indices sur leur identité. Achille m'installe à droite de mon père, puis prend place en face de moi. Les invités discutent ouvertement, mais mon prétendant semble muet comme une carpe. Même les questions qu'on lui pose sont vite avortées dans une réponse évasive.

Très peu loquace, cet Achille !

Les conversations autour de la table ne sont pas des plus plaisantes, si bien que je m'ennuie comme un rat mort. Je suis si passionnée que je retiens même difficilement un bâillement.

VICTOIRE - La théorie de la RenaissanceWhere stories live. Discover now