XV. L'amour à l'état pur

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XV. L'amour à l'état pur

Je m'en veux d'avoir fait de la peine à Guillemette. Ce n'était pas mon but, mais si j'avais réfléchi un peu plus, comme d'habitude, je me serais rendue compte que mon idée du siècle n'était qu'un ramassis de conneries. Maintenant, je m'en mords les doigts, comprenant que j'ai fait passer mes intérêts avant ceux de mon amie. Je ne connais pas la dame de compagnie depuis longtemps, mais j'ai vite saisi qu'elle était une alliée et une personne de confiance. En la trahissant comme je l'ai fait, je crois qu'elle ne me pardonnera pas de sitôt. Cela fait trois fois que je viens frapper à la porte de sa chambre, mais mis à part ses sanglots longs, personne ne me répond.

Bien entendu, j'ignore avec brio les tentatives de mon père pour me parler, dans le salon ou ailleurs. Si la Victoire de la Renaissance n'était peut-être pas rancunière, il va devoir apprendre que sa nouvelle fille, tout droit sortie du XXIème siècle, digère très lentement les affronts.

Fatiguée par toute cette mascarade, je rêverais d'un bon roman contemporain à dévorer et surtout une télévision pour pouvoir me poser devant une émission de télé-réalité débile où je n'aurais pas à réfléchir. Malheureusement, je suis coincée au fin fond d'une époque où toutes ces joies n'existent pas.

Je ne peux même pas envoyer de messages à Suzie, ma meilleure copine.

Je me lève d'un bond, bien décidée à ne pas me laisser atteindre. J'ai peut-être été manipulatrice avec Achille, mais c'est pour mon bien. Je n'allais décemment pas épouser cet homme qui me faisait chanter et qui en aime une autre. Je préfère mille fois terminer ma vie dans le lit d'Hector.

Ou même entre Hector et Lancelot.

Je n'ai qu'un geste de la main à faire pour que l'on m'avance mon carrosse, signe que mon autorité n'est pas légendaire. J'ai une certaine influence sur ce monde et je devrais en profiter. En deux mille dix-huit, j'étais transparente, autant jouer de mon soudain impact aux yeux des autres.

Lorsque j'arrive au château d'Hector, bien décidée à lui annoncer que j'ai réussi à repousser Achille, je suis une nouvelle fois accueillie par la servante, qui m'accorde une œillade en biais.

- Monsieur le Duc ne vous attendait pas, Mademoiselle de Lantis.

Je déteste sa manière de parler. Elle et moi ne semblons pas sur la même longueur d'ondes. Elle m'observe avec dédain et ne s'en cache même pas.

Pour qui se prend-elle exactement ?

- Rappelez-moi votre nom ? demandé-je d'un air hautain qui ne me sied pas du tout.

En entendant ma question, elle baisse les yeux un instant, visiblement gênée.

- Madeleine. Madeleine Jourdan.

- Très bien. Maintenant, ayez l'obligeance de me laisser passer. Etant la future épouse du Duc, je pense pouvoir me présenter lorsque l'envie me chante, n'est-ce pas Madeleine ?

La jeune femme, à peine plus âgée que moi, se contente d'un hochement de tête, puis m'accompagne jusqu'à la porte de la chambre d'Hector sans un mot. Pour le coup, je crois l'avoir vexée. Je pense même y avoir été un peu fort. Je ne suis pas le genre de personne à mal parler à ceux qui ont une plus faible condition que la mienne. Je crois que cette époque a le don de changer mon comportement.

Madeleine frappe à la porte des quartiers de l'homme qu'elle sert, les joues rouges de s'être faite rabrouer de la sorte.

- Je suis occupé, grogne la voix étouffée d'Hector.

VICTOIRE - La théorie de la RenaissanceWhere stories live. Discover now