(1) HEAVEN | j. murphy (✓)

❝HUIT ; 363 JOURS❞

Deux semaines sont passées et, à notre grand bonheur, plus personne ne revit Pikes dans l'enceinte de l'Isolement. J'espère seulement que ce salopard n'a pas été envoyé à la dérive. S'il flotte dans l'espace, j'irais le rejoindre dans deux jours.

Depuis l'incident, je n'arrive plus à dormir sans John. Seulement seize jours me séparaient de la mort, et cela me terrifiait au plus haut point. À présent, ce niveau de terreur est insupportable. J'aurais préféré mourir dans mon sommeil, ou être transpercée par une de ces épées des contes de fées. Ça aurait été douloureux physiquement, mais cela m'aurait épargné cette torture morale que je m'inflige depuis mon arrestation.

La semaine dernière, je suis restée dans les bras de Murphy. Aucun de nous n'a osé bouger, sauf lorsque Beverly nous y forçait pour la douche et pour manger.

Aujourd'hui n'a rien de différent.

－　Qu'est-ce qui te fait le plus rêver, de la Terre ? Le questionne-je, fruit de mes longues réflexions.

－　L'air naturel. Et... pouvoir observer les étoiles.

－　Pourquoi ? Tu peux les voir d'ici, les étoiles.

－　Sur l'Arche, on observe la Terre. Sur Terre, nos descendants rêveront de l'Arche.

Changer de perspective et de point de vue par rapport au ciel. Pikes a tenté de nous apprendre à nous repérer grâce aux étoiles.

－　Et toi ? Poursuit-il.

－　L'odeur de la pluie et la mer.

Un lourd silence pèse sur nos épaules durant un court instant.

－　Mon père m'a appris qu'à l'époque où les religions existaient, les chrétiens croyaient au paradis. C'est là que Dieu accueillait les morts. Le paradis serait individuel, on voit ce que l'on veut dans notre paradis. Ils pensaient que le paradis se trouvait dans le ciel. Quelle déception, hein ?

－　Tu l'as dit ! L'Arche, notre enfer métalique.

－　Et s'ils se trompaient ? Je veux dire, et si le paradis est quelque part sur Terre ?

L'ancienne Koda est morte. La nouvelle Koda, c'est une pleurnicharde comparée à sa prédécesseur.  Avant, ma condamnation ne m'aurait pas poussée à rêver à un paradis. Non, pas du tout. Je n'aurais fait que me répéter "Ah ben bravo Koda ! Alors ça, c'était super intelligent de ta part. Maintenant, tu vas mourir de suffocation et ton corps flottera a jamais dans l'espace. Eh, est-ce que c'est possible pour un cadavre de se décomposer dans de telles conditions ? Beurk, ça doit flotter dans tout les sens." Ma vie m'a échappé. Notre vie nous a échappé. Les larmes commencent à couler, embrouillant ma vue.

－　When you said your last goodbye I died a little bit inside. Commence-je à chanter doucement, la voix tremblante.

John me serre contre lui et me berce aux rythmes de ma voix.

－　I lay in tears in bed all night alone without you by my side.

L'Arche est l'avenir de la race humaine. Pas son paradis, son avenir. Avenir maudit, condamné à nous faire vivre une vie d'ouvrier, sans aucune autre possibilité, si ce n'est celle de la dérive.

－　But if you loved me, why did you leave me ?

Dans moins de quarante-huit heures, je vais cesser de respirer et mon cœur stoppera ses battements. John a encore un mois à vivre après cela.

－　All I want is, and all I need is to find somebody like you.

Lorsque j'étais enfant, mon père s'énervait pour un rien. Et cet homme était terrifiant. Alors je me cachais dans le placard et chuchotais une chanson, la première qui me passait par la tête. Et je la répètais, en boucle et en boucle jusqu'à ce que les cris cessent et que je me faufile discrètement dans mon lit. Cela faisait plusieurs années que je n'avais pas pensé à ces moments-là.

－　Cause you brought out the best of me, a part of me I'd never see.

Demain est mon dernier jour sur l'Arche. Et après cela, plus rien.