VIII

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La lumière des lampadaires dansait sur sa personne au fur et à mesure de ses pas. Son visage au sol, les mains dans les poches, il pensait. Comment Jimin a pu devenir si froid ? Lui qui était si joyeux, si rieur, si blagueur, si enfantin. Qu'est-ce qu'il s'est passé pour qu'il change autant ? Maintenant il est arrogant, distant depuis sa sortie. Et ça, ne pas savoir, l'énervait au plus haut. Le noir pétrole du ciel décoré de milliards de petits points lumineux couvrait la surface terrestre. On n'en distinguait qu'une pauvre petite partie entre les deux des bâtiments qui couvraient toujours les ruelles. Le temps n'en faisait qu'à sa tête en ce mois-ci. Une tempête orageuse, une brume, le soleil puis le calme. Un cercle vicieux.

Baillant tellement fort, sa mâchoire craqua, et il lâcha un gémissement plaintif. Il se la massa, puis essuya d'un bref coup de paume la larme de fatigue qui avait glissé le long de sa joue. Après tout, quoi de plus normal quand on passe une nouvelle semaine à s'occuper de la taverne. Il s'était mis à travailler de temps à autre là-bas. Histoire de passer le temps. Niveau bandit, il s'était bien calmé, à croire que la prison avait eu un effet. Mais ça ne l'empêchait pas de redevenir un junky, oh que non. Un nouveau bâillement et il étudia sérieusement la question de : Comment Namjoon faisait-il pour toujours avoir bonne mine depuis huit ans ? C'est vrai qu'il était habitué, mais quand même. Se reposer était essentiel. Parce que passer dix heures non-stop à servir, rire, courir de droite à gauche, ça fatigue vite. Il se mit à tapoter sa veste noire dans tous les sens afin de chercher son téléphone. Sa main disparut dans une poche intérieure où il se stoppa dans sa recherche.

Le collier.

N'ayant pas retrouvé le propriétaire, il l'avait gardé pour finalement complètement l'oublier. Il le sortit et regarda le pendentif scintillant dans sa marche. Puis il articula chaque syllabe du nom inscrit à l'arrière.

— Kim... Tae... Hyung...

Ne se rendant pas compte où il mettait les pieds, sourd et concentré sur le bijou, il fut violemment percuter par un corps qui vint s'écrouler au sol, dans des poubelles. Il recula de quelques pas, manquant de tomber et sa main s'était automatiquement refermée, et la chaîne pendait maintenant dans le vide. Le choc a été tellement rude que l'inconnu avait semblé être en pleine course. Jungkook se précipita vers lui et l'aida à se relever, de sa main libre, d'une difficulté hors norme. Le corps était lourd. Non, pas lourd de poids, au contraire, il était mince. Mais lourd de fatigue, de souffrance. De nouveau dressé sur ses pieds, les deux se retrouvèrent sous un lampadaire, et l'adulte put directement reconnaître son interlocuteur. Même si sa tête était baissée, les yeux cachés par ses cheveux gris, il le put. Le garçon de cette nuit-là. Cette nuit où il s'était évanoui dans la rue où Jungkook fumait tranquillement.

— Par... Pardon de vous avoir heurté...

L'adulte avait à peine écouté son excuse, son regard fixé sur sa personne vêtue d'un simple t-shirt et d'un bas de pyjama noirs. À une température inférieure, ce n'était pas vraiment adéquat comme vêtements. Ses bras blancs étaient jonchés de bleus et de blessures anciennes comme récentes. Son bas retombait sur la moitié de ses pieds dénudés et abîmés, des croutes, des cicatrices, de la boue. Il triturait ses doigts glacés et son corps tremblaient, faisant hisser les poils de ses bras. Il avait l'air pressé. Mais pressé de quoi ?

— C'est pas grave... Mais c'est pas vraiment une heure pour se promener.

Dit celui qui fait pareil. Rectification ; il rentrait du travail pour aller chez lui. Et surtout dormir. Le regard du jeune se porta de droite à gauche, toujours la tête baissée. Ses cheveux suivaient le mouvement, et Jungkook se pencha légèrement sur le côté pour tenter de voir ses yeux. Mais celui-ci les fronça tellement fort que des tâches de couleur apparurent dans son environnement sombre. Ses poings se serrèrent, comme s'il se donnait du courage.

— Je suis désolé mais... Vous pouvez vous retourner... ?

Sa voix était devenue frêle et stressée. Cette dizaine de mots s'étaient arrachés de sa gorge nouée. Après quelques secondes à observer de haut en bas ce dernier, il finit par lui tourner le dos, croisant ses bras au torse. S'ennuyant pendant que l'inconnu bricolait une petite boîte sortie de sa poche de jogging, il admira un pot de roses fanées suspendu à une rambarde de fenêtre. Elles paraissaient si faibles, ni noires. Elles n'avaient aucune vie. Mortes. Elles tenaient encore debout, mais si l'on venait à la toucher ne serait-ce que du bout du doigt, elles s'effondreraient en milliards de petits morceaux. Un clic puis un reniflement et il eut l'autorisation de se reretourner. Volte-face en rangeant le collier dans sa poche et il fronça légèrement un sourcil curieux. Les yeux du jeune étaient vairons. Enfin, non. Un œil était tellement noir que la pupille était à peine visible et l'autre était plus clair. Très discret mais bien voyant à la lumière orangée du lampadaire. Ses lèvres tremblotaient comme si quelque chose avait beaucoup de mal à sortir.

— Vous... commença-t-il d'une faible voix, le regard ailleurs. Vous n'êtes pas l'homme avec qui je me suis réveillé, il y a un moment... ?

— Si.

Sa réponse dû être un peu trop rapide et rude pour que l'adolescent recule de quelques pas, les bras formant une croix sur sa poitrine, venant saisir ses épaules. Quelques gémissements se firent crachés de sa bouche, et il semblait se retenir de pleurer. Comme si un lourd passé pesait sur son corps de presque jeune adulte.

— Mais j'ai dû rester parce que t'es pas majeur, fini Jungkook dans un soufflement.

— Vous... ne m'avez rien fait ?!

Cette soudaine question lui fit hausser les sourcils, étonné, pendant que l'autre se tata chaque parcelle de son corps, cherchant une quelconque anomalie. Un volet claqua subitement, le faisant sursauter et ses cheveux clairs retombèrent sur ses yeux. Le plus vieux resta calme, en train de réfléchir à cette interrogation. Ça se voyait tant que ça qu'il était gay ? Ou alors avait-il la dégaine d'un violeur ? D'un psychopathe ? À méditer. Une goutte d'eau atterrissant sur son bout de nez le fit sortir de ses réflexions, pour faire trois pas en arrière, les yeux écarquillés. C'était maintenant un homme de la soixantaine qui se tenait devant lui. Des cheveux blancs au-dessus du crâne et une légère barbe, il fixait Jungkook d'un regard lassé.

— Ça fait un petit moment que je vous interpelle, dit-il.

— Ah... Je suis désolé.

Il tourna la tête dans tous les sens, se demandant où était passé l'adolescent. Il ne l'avait pas vu partir, combien de temps s'était écoulé ?

— Vous n'auriez pas vu un gamin de cette taille ? Il leva sa main ridée parallèle au sol à la hauteur de son nez, soit l'épaule du plus jeune adulte. Des cheveux gris et habillé en noir, je crois.

— Euh... Si. Il y a quelques minutes.

Un temps prit au pif. Le vieil homme se courba légèrement et entama une marche rapide à travers la ruelle orangée, évitant les poubelles ou quelques rats passants. C'est bizarre, sa dégaine lui rappela quelque chose. Un sentiment de déjà-vu. Mais où ? Jungkook secoua nerveusement sa tête puis alla dans la direction opposée à celle de l'ancêtre, mains de nouveau dans les poches.

— Sors de ta cachette ! Hurla ce dernier. Taehyung !

Et il se figea à ce prénom.

❝𝐄𝐗𝐈𝐒𝐓𝐄𝐑 𝐀𝐔𝐓𝐑𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓❞ ᵏᵒᵒᵏᵛWhere stories live. Discover now