-1

25.3K 322 17
                                    

{Billie sur la photo}

00h05
J'étais assise depuis une bonne heure, seule dans ce vieux cimetière de voiture.
Les carcasses de ces monstres de fer m'entouraient de tous les côtés, laissant divaguer leurs ombres terrifiantes sur mon visage.
La bonne odeur de ma cigarette se répandait partout autour de moi, se glissant lentement dans mes narines légèrement bouchées.
Des nuages de fumée que je provoquais volontairement se dessinaient juste au dessus de mon visage maussade et triste, éclairé par les faibles lumières de quelques réverbères encore fonctionnels.
J'avais pour habitude de venir ici le soir.
Ce cimetière de fer et de métal avait la plus belle vue de toute la ville sur les étoiles et personne ne venait me déranger lorsque je fumais certaines substances illicites.
J'étais allongée sur le capot d'un vieux bolide dont la peinture rouge sang s'était écaillée au fil des années.
Avant, je venais avec elle et lui chaque nuit, chaque jour, chaque après-midi.
Et cette voiture là avait toujours été notre préférée.
On s'installait quasiment tout le temps sur ce capot abîmé, et on riait aux éclats jusqu'au lendemain.
Parfois on s'endormait sur ce tas de ferraille, sans vraiment faire attention aux heures de sommeil que nous aurions à rattraper à la maison.
On fumait, on buvait et on criait à s'en déchirer les cordes vocales.

Et elle, je me rappellais de son visage si angélique, de ses cheveux frisés qui flottaient à cause de la brise matinale, de son rire qui résonnait à des kilomètres à la ronde...
Je me souvenais de tout.
Chaque nuit, chaque jour.
Chaque minute passée parmi ces cadavres rouillés et sales.
Elle me manquait terriblement.
Et lui aussi.

3h01
Cela faisait maintenant trois heures que j'étais ici, allongée sur le capot de cette foutue voiture.
Ma dixième cigarette se consumait lentement entre mes lèvres gercées, me laissant à mes pensées plus ou moins sombres.
Le froid m'enveloppait peu à peu depuis plusieurs minutes et c'était à peine si j'arrivais à bouger.
La fumée que je recrachais me réchauffait mais cette sensation n'était jamais éternelle.
En fait, rien n'était éternel.
Tout ce qui se trouvait sur cette planète disparaissait un jour ou l'autre, tout comme elle, comme lui.
Chaque être humain, chaque animal, chaque plante...tout ça s'évaporait un jour.
Personne ne savait où exactement, mais ce dont les gens étaient sûrs, c'est qu'elles étaient quelque part.
Pourtant, j'avais toujours été persuadée que lorsque quelque chose disparaissait, c'était pour toujours.
Comme si chaque chose devenait la définition du mot « rien » à chaque fois qu'elle s'en allait.
Peut-être que c'était comme ça qu'on allait tous finir.
Oubliés, réduit au néant à tout jamais.

5h45
C'était l'heure de rentrer.
Il était tard et j'avais une heure de route à faire.
Le retard n'était pas vraiment la chose qui m'effrayait.
À vrai dire, personne ne m'attendait dans mon petit appartement sombre et froid, mais j'avais du travail demain soir.
Je devais bosser au bar de 18h à 22h.
J'allumai une clope et descendai du capot.

Je pris mon sac à dos jaune, salit par de multiples taches d'encre et de boue, et commençai à marcher silencieusement, le vent sifflant dans mes oreilles à demi couvertes par mon bonnet.
Mes baskets s'enfonçaient dans la terre mêlée à des bouts de ferrailles disposés un peu partout, comme de vulgaires mines lors d'un affrontement.
Des carcasses de moteurs, de volants et de portières m'entouraient de tous les côtés, laissant place à des ombres terrifiantes qui se reflétaient contre les murs en briques encore debout près de la décharge abandonnée.
Je m'efforçai de ne pas les regarder, me concentrant sur mes pieds maintenant recouverts d'une gadoue poisseuse et désagréable à observer.
Je pris mes écouteurs cachés dans le fond de ma poche pleine de miettes de pain d'un geste nonchalant.
Je les enfonçai dans mes oreilles, enclenchant une de mes chansons favorites: Nina Simone - Feeling Good.
Les instruments qui grondaient à travers mes écouteurs me faisaient frissonner.
Je me sentais partir sur les douces notes de sa voix, les yeux rivés sur les étoiles qui inondaient le ciel.
Ces petits points lumineux me fascinaient depuis mon plus jeune âge et je ne pouvais pas m'empêcher de les contempler à chaque fois que je venais ici ou que j'en avais l'occasion.
Je mourrais d'envie de les rejoindre parfois.
Tout avait l'air si beau là-haut.
Tout avait l'air si parfait.
Je passais plus de temps la tête dans les nuages que les pieds sur terre, sûrement parce que ce monde m'effrayait beaucoup trop à mon goût.
Peut être qu'ici tout était compliqué, comparé au nuages qui dansaient dans le ciel.

Mes yeux se redirigèrent vers mes baskets sales, reprenant leur marche lente et triste.
Mes mains se glissèrent dans mes poches et mon regard émerveillé redevint sombre et vide.
Encore une fois.

***

POLAKWhere stories live. Discover now