CHAPITRE 7

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Lazare referma la porte sur son ex-femme, l'esprit ailleurs. Adeline avait envoyé son fils dans la voiture après un dernier au revoir et était revenue l'accabler de reproches insensés. Elle l'avait traité d'alcoolique, de drogué et d'inconscient, avant de lui claquer la porte au nez. Il l'avait simplement écoutée, sans réellement comprendre, trop tracassé par l'histoire qu'il venait de lire à son fils. Des flash de la soirée de la veille lui revenaient, lui donnaient des vertiges. La pièce de six pence. Les pommes. Le crucifix. La lanterne. Le charbon. Les croyances de Jim et sa réaction quand il avait évoqué le Diable. Tout coïncidait.

Sans en avoir conscience, Lazare avança dans la cuisine et saisit un stylo et un bloc note. Ses doigts, animés d'une volonté propre, couchèrent deux mots sur le papier. Un nom et un prénom, dans une écriture qui n'était pas la sienne. Jim Thacks. Il mélangea les lettres, telle une anagramme, pour former une autre identité. Jack Smith.

— Jack, souffla-il.

Une bulle sembla éclater. Un flot de sentiments le dévasta. Le choc. La peur. Le refus. La température était en chute libre, ses doigts étaient glacés et engourdis. Une telle chose ne pouvait pas être possible. Les fantômes et légendes n'existaient pas. Pourtant, il ne parvenait pas à rejeter complètement l'idée. La vérité était inscrite dans sa chair, jusqu'au plus profond de son âme. Lazare sursauta et se retourna. Il avait la sensation qu'une main légère venait de se poser au creux de ses reins. Il n'y avait rien, ni personne. Pourtant, il y avait ce même parfum enivrant que la veille, qui flottait dans l'air. Son cœur s'emballa, mais il ne ressentit aucune peur. Ce n'était que Jack, Jim, il en était persuadé. Dans le salon, la chaine-hifi s'alluma et un vieux CD de The Door démarra.

C'est la fin.

Magnifique amie,

C'est la fin.

Ma seule amie, la Fin.

De nos plans élaborés, la fin,

De tout ce qui tient, la fin,

Plus de sécurité, plus de surprises, la fin.

Je ne regardais plus dans tes yeux... à nouveau.

Lazare avança lentement vers le salon, un espoir fou brillant au fond des yeux. Néanmoins, la pièce était désespérément vide. Le rideau blanc ondulait élégamment sous une brise fraîche, tel un spectre. Le blond ferma la fenêtre, la gorge nouée. Il avait l'impression d'avoir perdu un proche. Jack l'avait fait se sentir vivant et lui-même, juste le temps d'une nuit. Il ne voulait pas retrouver sa vie morose. Son quotidien lui paraissait désormais fade et sans couleur. Le poids de sa solitude pesa sur ses épaules, dans cette maison trop grande pour une seule personne. Lazare se rendait compte qu'il survivait plus qu'il ne vivait. Il n'avait plus de passion vibrante, plus de rêves un peu fous. Tout ne se résumait qu'à son fils. Deux jours toutes les deux semaines. Quatre jours dans un mois. Quarante-huit jours sur une année. Il en avait assez.

Lazare voulait exister. Il voulait ressentir, vibrer. Il avait goûté au bonheur durant quelques heures, et il refusait qu'on le lui arrache. C'était trop cruel de lui faire toucher le ciel, pour le laisser ensuite tomber en chute libre. Le blond sentit ses jambes se dérober face à ce constat pathétique. Ses genoux rencontrèrent douloureusement le vieux parquet et un sentiment de désespoir mêlé de manque lui serra le cœur.

L'infirmier remarqua alors le paquet posé sur sa table basse. C'était une boite plate, entièrement blanche. Il regarda autour de lui, comme si Jack allait soudainement apparaître, avec son sourire charmeur et ses yeux couleur cuivre. Pourtant, il était résolument seul. Il suspendit sa main au-dessus du couvercle, hésitant. Il avait l'impression que des doigts froids encerclaient son poignet, comme pour le retenir. Son instinct lui hurlait de ne pas l'ouvrir. Dans un coin de la pièce, une lampe se mit à clignoter, cherchant à attirer son attention. Cependant, une autre force, beaucoup plus forte, le poussa à continuer. Presque malgré lui, il ouvrit la boite et fixa les pièces d'un puzzle. Dans une sorte de transe, quasiment compulsive, il commença le casse-tête. Il ne pensait à rien d'autre qu'à le finir, poussé par quelque chose de sombre. Il savait quelle pièce choisir et où la mettre. Il n'y avait plus de place pour l'hésitation.

C'est la fin.

Magnifique amie,

C'est la fin.

Ma seule amie, la Fin.

Il est douloureux de te libérer,

Mais jamais tu ne me suivras.

La fin des rires et des doux mensonges.

La fin des nuits où nous avons tenté de mourir.

C'est la fin.

Lazare posa sa main sur la dernière pièce et contempla son œuvre. Il était parcouru de frissons et une fièvre le dévorait lentement. Son cœur accéléra douloureusement alors qu'il reconnaissait le dessin qu'il venait de former. C'était son salon, avec lui, à genoux devant la table basse. Indépendamment de sa volonté, sa main plaça la dernière pièce du puzzle, pour compléter le grand miroir en face de lui, qui lui renvoyait la silhouette d'un homme sinistre.

— Bonsoir, Lazare Quinn, le salua une voix doucereuse. J'ai ouï dire que tu souhaitais passer un pacte avec moi.

FIN

Le Diable tient toujours ses promesses.Where stories live. Discover now