II - Le silence d'or (1)

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Jusqu'à la fin du cours, je restai assis, figé devant ses yeux profonds, un peu en amande qui me fixaient et me mettaient terriblement mal à l'aise. Ses longs sourcils droits et fins étaient parfaitement reproduis. Son doux regard qui m'acharnait de coup de poing il y a quelques instants était le même que celui que j'avais en face des yeux; j'en avais fait tomber mon crayon.

Je levai la tête pour observer les autres élèves. Tous étaient concentrés, un crayon à la main, penchés sur leurs toiles. Appliqués, il déposaient délicatement leurs mines sur leur tableau.

La Gorgone rangeait les mannequins au fond de la classe en marmonnant. Elle avait toujours les sourcils froncés, on ne la voyait que rarement sourire. Elle devait détester son travail, nous détester. Elle rêvait sûrement, elle aussi, de célébrité ou bien simplement de tranquillité. Elle souhaitait peut-être pouvoir toute sa vie peindre dans son atelier... Ses cheveux verts étaient en bataille et son rouge à lèvre coulait un peu à force de se battre avec les membres des mannequins qui ne se pliaient pas. Elle avait des taches de peinture sur sa combinaison noir et sur ses baskets qui furent un temps blanches. Lorsqu'elle vit que je la regardais, elle me lança un regard noir et lâcha ses mannequins. Elle s'avança vers moi d'un pas décidé. Je paniquais, j'avais dessiné en une heure les yeux du modèle uniquement. Je me retournai vers mon tableau pour éviter son regard qui me foudroyaient. Lorsqu'elle fut devant mon œuvre, elle se contenta uniquement d'un petit sourire en coin et d'un hochement de tête. Elle se pencha à mon oreille :

"Tu viendras me voir à la fin du cours, j'aurai quelque chose à te proposer, en attendant, tu ferais mieux de continuer ton croquis il ne te reste plus qu'une heure et demie et tu es en retard par rapport aux autres." me chuchota La Gorgone.

Marcus me regardais le sourire aux lèvres ainsi que la jeune fille sur le fauteuil rouge.

Lorsque le cours prit fin, mon croquis n'était toujours pas achevé. Les yeux en amandes étaient désormais accompagnés d'une fille bouche et d'un contour de visage rond tracé malhabilement. Je pris ma toile et m'avançai vers la Gorgone qui m'attendait, assise sur le fauteuil rouge.

"Te voilà enfin. Je souhaite que tu peignes le portrait de Rosita. me dit la Gorgone

- Oh, mais qui est cette Rosita au juste ? demandai-je

- Rosita est la jeune femme qui vous servait de modèle aujourd'hui" répliqua celle-ci

Je sentais mes joues devenir rouges et les battements de mon cœur résonnaient dans mon crâne.

- Ce portrait te servira à augmenter ta moyenne qui n'est vraiment pas brillante, et, la jeune fille doit gagner de l'argent pour payer ses études, c'est pour cela qu'à tant partiels, elle sert de modèle. Elle a votre âge et suit également des cours d'art dans une école réputée, mais, elle doit travailler pour payer cette école. Tu commenceras demain. Débrouillez-vous pour vous voir en dehors des cours. Je veux que tu me rendes ce portrait fini la semaine prochaine. Maintenant sors de ma classe je suis occupée." reprit la Gorgone.

Je passai le porte verte de la salle et avançai jusqu'au hall de l'établissement. Les cours étant terminés, je pouvais enfin prendre l'air. Lorsque je fus dans la rue, je marchai sur quelques mètres et m'écroulai sur un mur. Les battements de mon cœur commençaient à résonner moins fort dans mon esprit et le feu qui me montait aux joues s'apaisait petit à petit.

"Tu veux une clope ? me demanda une voix grave.

- Non trésor, j'en veux pas de tes saloperies. répondis-je

- Comme tu voudras." dit-il en s'asseyant à mes côtés

Il sortit sa clope et l'alluma avec un briquet qu'il venait de trouver à ses pieds. Il porta la cigarette à sa bouche et souffla la fumer par le nez. Il regardait devant lui, silencieusement. De profil, on remarquait un peu plus son nez aquilin et son petit menton. Ses yeux noisettes fixaient l'horizon et ses lèvres rosâtre étaient entrouvertes pour exhaler la fumée.

"Elle te voulait quoi la Gorgone ? me questionna-t-il

- Oh, rien de réellement intéressant. répliquai-je calmement

- Tu ne veux toujours pas de clope ? T'as l'air tendu, tenta Marcus

- Je dois peindre un portrait du modèle de tout à l'heure pour la semaine prochaine. Ca pourrait sûrement m'aider à sauver ma place dans l'école. expliquai-je à mon ami

- C'est plutôt cool, je serai sûr de ne pas être seul parmi ces tocards." remarqua le fumeur, le sourire aux lèvres.

On resta un long moment encore, assis à même le sol, adossés contre un mur en silence, scrutant l'horizon. C'est ce que j'aimais avec Marcus, on pouvait passer des heures assis, sans rien dire, mais pourtant, on était bien. L'odeur pestilentielle de sa cigarette me montait au nez, je ne supportait pas ça. Je la saisis d'entre ses lèvres et l'écrasa sur le trottoir.

"Tu sais que ça coûte une blinde cette merde ? demanda-t-il calmement.

-Raison de plus pour arrêter. T'es accro, râlai-je

- Tu sais, je ne suis pas sous l'emprise de la nicotine comme dirais n'importe qui. C'est juste, une forme de liberté : se dire qu'on joue avec la mort. expliqua-t-il le sourire aux lèvres

- Mais tu sais, souvent c'est elle qui gagne le jeu... répliquai-je tout bas

- Ne t'inquiète pas Boucle d'Or, pour l'instant, je domine.  dit-il suivit d'un clin d'œil et en portant une nouvelle cigarette à sa bouche.

Après un moment de silence, il reprit :

- Tu la vois quand la nana ? demanda-t-il en alluma sa nouvelle clope

- Demain après-midi, normalement.

- Tu feras ça où ?

- Aucune idée

- Viens, on va se boire une bière, j'ai soif.

- Je te suis trésor."

On se leva et commençâmes à marcher. Le soleil se couchait et dorait la ville. Il n'y avait quasiment personne dans les rues, nous entendions nos pas résonner. On voyait nos ombres nous suivre silencieusement et rapetisser au fil du temps. Il me montra un petit bar à un coin de rue : " Zanzibar". La façade était en brique rouges et de faibles lumières éclairaient l'entrée sous son nom. La porte était vitrée et on voyait à l'intérieur la lumière dorée du soleil qui éclairait les visages. Nous rentrâmes à l'intérieur et nous nous plaçâmes à une table près d'une fenêtre.

Je survolais les gens du regard, ne sachant vraiment que faire. La plupart étaient des jeunes couples, encore amoureux, qui se parlaient en se regardant dans les yeux, le sourire aux lèvres. Il y avait un bar près de la porte d'entrée où siégeait derrière, un jeune homme aux longs cheveux relevés en chignon qui essuyer des verres. Les murs étaient recouverts d'une tapisserie bordeaux et le sol d'un parquet grinçant à chaque pas. Les tables étaient en bois de chêne et les chaises également. Au fond du bar, dans la pénombre, il y avait des tables avec des banquettes bordeaux. Et c'est là que je vis , sur l'une de ces banquettes, dorés par le soleil : ses yeux marrons.

RositaNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ