Chapitre 1

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L'aubergiste s'activait rapidement en ce soir orageux. Malgré le fracas de la foudre qui déchirait le ciel et la pluie qui s'abattait sur la ville de Bree, le Poney Fringant grouillait de vie en son sein. Des voix criardes réclamaient à boire encore et encore, des rires gras résonnaient à des plaisanteries souvent déplacées, et la musique se faisait petite derrière toutes ces exclamations. Parmi tous ces gens, hobbits et hommes se côtoyaient, et parfois, des nains étaient de passage. Plus d'hommes que de femmes, on pouvait néanmoins trouver quelques vieilles dames, pour la plupart veuves, ricaner et se saouler pleinement. Une pauvre serveuse peinait à se déplacer parmi ce monde bruyant, pintes en main, et manquait de se faire bousculer en se renversant les boissons sur sa tenue.

Un chat noir restait immobile sur le comptoir qui lui servait de perchoir. Ses yeux jaunes allaient d'un visage à un autre, avant de s'immobiliser sur une étrange silhouette. Une personne était à l'écart de cet essaim de vie. Assis près d'une fenêtre où l'averse se jetait comme des fouets sur les carreaux, cet individu semblait effacer sa présence, ou tout simplement ne voulait pas prendre parti dans l'entrain qui animait tout ce monde. On reconnaissait une silhouette de femme dans ces vêtements de voyageur ; des bottines lacées lui montaient sous les genoux, un pantalon de toile résistante et brune épousait ses jambes, et sous sa cape noire, un corset brocard sombre serrait contre elle une chemise de coton noire aux manches longues. Des brassards en cuir brun protégeaient ses avants-bras, une ceinture de même cuir entourait ses hanches, large et munie de petites lanières auxquelles une bourse pendait d'un côté, et de l'autre, des grigris aux motifs celtes, tel qu'un médaillon en argent gravé d'un triskel, ou un triquetra forgé en étain. Une feuille de la Lórien pendait à une chaîne d'argent, et à cette même chaîne, une large bague ornée de rune en khuzdul et d'une améthyste.

Sa capuche était rabattue sur son visage, ce dernier recouvert d'un masque de métal. Ce masque était lisse, sans bouche, sans nez,seuls deux ouvertures pour les yeux couvertes d'un verre rouge. Quand un regard se posait sur cette étrange personne, notamment sur ce visage de fer, il se détournait immédiatement. C'était comme s'attirer des ennuis de vouloir dévisager cette mystérieuse cliente. Pourtant, elle ne faisait rien d'autre que d'être assise dans son coin, sans bouger, sans broncher, sans boire ni manger. Enfin, qu'attendait-elle ?

Une personne osa finalement s'asseoir face à elle. Cette personne, qui ne semblait pas être n'importe qui sous ses traits de vieillard à la longue barbe, portait une tunique grise et salie par de nombreux voyages, des mitaines de laine usées, une ceinture à la taille. Ils se regardèrent droit dans les yeux pendant de longues secondes, avant que respectueusement, la femme au masque n'inclinât la tête.


- Mithrandir, salua-t-elle d'une voix profonde et douce.


- Cailínag fulaingt*, répondit le magicien gris.


L'Istari sourit en croisant les mains sur la table, s'installant bien confortablement sur sa place. La dite « Cailinag fulaingt » sembla se détendre maintenant qu'elle n'était plus seule.


- Cela fait longtemps, dit-elle. Qu'est-ce qui vous a poussé à faire appel à moi ?


- Oh, ma chère enfant, j'aurais très bien pu vous faire venir ici pour vous revoir, répondit d'une voix amusée le vieux sage.


- Mais vous connaissant, mon cher ami, ce n'est pas pour discuter du beau temps et de la pluie que nous sommes là.

The Hobbit - La Corneille du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant