Partie 1 flinguée

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brève d'infirmière : flinguée

Ce matin c'est le second jour que je me rends chez un patient pour des injections. Rien d'inhabituel, dorsalgie, injection d'anti-inflammatoires ... Sauf que dans mon métier rien n'est jamais habituel.

J'étais déjà allée chez Mr Paul il y a quelques années, pour une série de pansements je crois. Déjà à cette époque il m'était apparu comme un homme bon, gentil et bienveillant, toujours à proposer un petit café ou une boisson pour se rafraichir un peu. C'est agréable ces personnes qui gardent inconditionnellement mon numéro de portable et qui des années après font appels à mes soins.

Il était alors retraité et profitait de la vie, entouré de ses enfants et petits-enfants non sans emmerdes j'imagine mais plutôt joyeux comme tout le monde ou presque ...

Sauf qu'hier matin, quand je suis arrivée je l'ai trouvé un peu usé, les traits un peu tirés, les yeux un peu rougis, il m'explique alors qu'il a vraiment mal au dos mais aussi il m'avoue que c'est probablement parce qu'il a soulevé sa petite fille, elle est tellement adorable et le remplit de joie.

Le métier d'infirmière libérale a quand même la particularité de nous faire pénétrer chez les gens au plus profond de leur intimité, avec l'expérience et les années on arrive relativement vite à cerner les personnes ce qui nous permet d'améliorer la façon dont on les prend en charge. Il ne faut pas être hypocrite et se voiler la face, on ne peut pas apprécier tout le monde et il y a parfois des situations où l'on sourit un peu faussement en faisant les soins, bien faits quand même, mais faits ... Parfois il arrive aussi qu'une situation inverse se produise faisant tomber notre armure de soignant.

C'est là qu'on se le prend en pleine face et qu'il nous faut alors quelques heures pour nous remettre vraiment, on enchaine les situations de détresse en compensant les incapacités ou en pansant les maux. Mais bien souvent on libère aussi des paroles et des souffrances tellement profondes et violentes qu'il est difficile de trouver les mots pour réconforter. D'ailleurs je ne pense pas que je les gens attendent vraiment que je les réconforte, ils ont juste besoin que je les écoute.

Donc hier matin j'ai vite compris que mr Paul avait les yeux rougis et les traits tirés car il dormait mal, il en a plein le dos et en a gros sur la patate. Il me confie aussitôt que son fils est mort l'an dernier, à 39 ans ! Merde mais c'est mon âge ça à peu de choses près. Mais ce n'est pas tout, il me raconte que son fils est mort très violemment dans une soirée un peu trop arrosée, avec 2 de ses potes dont un complètement pompé du bulbe. Ce dernier plein d'alcool et de coke a sorti un calibre, la balle est partie. Une balle en pleine tête, rideau !!!! Il était papa de 2 enfants de 7 et 12 ans. Mr Paul me raconte ça, il a du mal à contenir son émotion, plutôt ses émotions, une profonde tristesse, de l'inquiétude pour sa petite fille qui part en live, de la haine, de la colère ... Tout se mélange, tout sort de sa bouche, de son cur, il souffre, il déborde, je l'écoute. C'était il y a un an. Il veut déménager, il veut ... il ne sais plus en fait, il est épuisé ...

Ce matin je le revois pour son injection, rapidement il vient lui-même sur le décès de son fils et me confesse qu'il avait prévenu son fils que gars était une raclure :

- Mais bon sang ! Qu'est ce qu'il foutait avec lui ! Pourtant il ne le fréquentait pas ! j'ai envie qu'il crève cette ordure, j'ai envie de lui faire ce qu'il a fait à mon fils !!!!

- Et bien faite le !!!!

Il a été surpris par ma réponse, je ne dois pas être la première personne à qui il en parle mais il doit surement être habitué à entendre le discours à la con des gens qui lui disent que ce n'est pas possible qu'il ne peut pas faire ça, le renvoyant encore plus dans un sentiment d'impuissance. Il a compris que j'étais capable de comprendre sa haine et sa colère et qu'à sa place j'aurai eu a même envie. L'amour est tellement puissant qu'il peut aussi à son inverse vous détruire et vous rendre complètement dingue.

Libéré, Il m'a alors dit que je savais qu'il ne le ferait pas.

Je lui ai répondu qu'effectivement, oui je le savais ...



Le billet d'EvaWhere stories live. Discover now