Chapitre 34

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We're good at drawing lines through the space between stars,
like we're pattern finders [...] even if we don't mean to.
So I believe in a universe that doesn't care,
and people who do.


Assise sur la plage, Morgane se demande si elle est en train d'assister à la fin du monde.

Elle a passé la journée à somnoler dans son ancienne demeure, priant une présence en laquelle elle n'est plus sûre de croire pour qu'on ne la retrouve pas, en perpétuel équilibre entre les brumes trop facilement dissipées du sommeil et la cruauté trop pesante de la réalité, jusqu'à avoir l'impression d'étouffer dans ses propres souvenirs. Ses pieds nus l'ont guidée jusqu'au sable gris de la côte, où elle a regardé le ciel se couvrir peu à peu de nuages aussi sombres que ceux suspendus au-dessus de leurs têtes le jour de la mort de Tori. Jamais encore Morgane ne s'était sentie aussi seule. Ses convictions, ses amis, sa raison de mener l'enquête à bout ; tout semble l'avoir désertée. À quoi bon chercher la vérité si celle-ci ne fait que nous blesser ? La jeune fille préfère s'en détourner. Fermer les yeux et attendre la fin de tout, recroquevillée sur les vestiges de son enfance.

Pourtant, elle est venue ici. À l'endroit exact où se déroule son rêve. Que risque-t-elle de plus, après tout ? Quitte à être témoin de la fin du monde, autant se trouver aux premières loges. Autant se prouver une bonne fois pour toutes que rien n'a jamais eu de sens. Tout, depuis le départ, n'est que chaos. Un chaos venimeux auquel la faiblesse de son esprit a fait prendre la forme du destin.

Elle frissonne, serrant un peu plus ses bras autour de ses genoux tandis que l'orage se rapproche. Les éclairs blancs déchirant l'horizon grandissent à chacune de leur apparition. Dans les rues, le vent se lève. La plupart des citoyens en ayant l'occasion se sont déjà réfugiés chez eux. Non loin derrière Morgane, l'enseigne métallique du Wendy's tangue dangereusement. La jeune fille n'y prête pas son oreille. Ses paupières lourdes, douloureuses à force d'essuyer les bourrasques de la tempête approchante, s'accordent un moment de répit. Ce n'est pas la fin décrite par son rêve. Mais celle-ci finira par arriver, n'est-ce pas ? Leurs agissements n'ont rien changé. Au contraire, ils n'ont réussi qu'à rendre Gaël plus instable encore.

Ses sourcils se froncent dans ce qui sera sans aucun doute son dernier sanglot. Qu'ont-ils fait de travers, au juste ? À quel moment se sont-ils trompés de chemin ? Elle a beau ressasser leur progression, la jeune fille ne trouve pas les réponses. Ses questions en ont-elles vraiment ?

Elle enfonce le menton entre ses genoux, prête pour la fin de tout, lorsqu'un cri de frayeur la ramène à la réalité. Morgane redresse la tête dans un sursaut et balaie les alentours du regard. De l'autre côté du muret de pierre, une fillette de l'âge de Nana a fondu en larmes. En se levant, l'adolescente comprend pourquoi. Une branche de plusieurs kilos s'est brisée sous la force du vent. Sous celle-ci, l'homme inconscient qui doit être son père gît face contre sol, le visage en sang.

Morgane ne réfléchit pas. Elle ne pense pas à la fin du monde, pas plus qu'au fait que cette famille soit condamnée de toute façon. Elle les rejoint au pas de course, franchissant les marches qui les sépare deux par deux, et, à bout de souffle, examine rapidement la situation. Un garçon d'à peine douze ans tente de soulever la branche sans y parvenir. Ce truc doit peser plus lourd qu'elle le pensait.


« Laisse-moi t'aider. »


Elle saisit le bout de la branche que n'atteint pas l'adolescent pour lui prêter sa force. Mais leurs efforts sont trop aléatoires, trop désorganisés pour être efficaces.

L'Envol du Corbeau [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant