Chapitre XI

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Ethan était un animorphage. Une drôle de bestiole, en somme. Pas un monstre, pour cela, le Professeur Krauss avait été très clair, il s'était montré excessivement rassurant.

Il était tard. Ou plutôt, très tôt. Le soleil n'allait pas tarder à poindre à l'horizon, et Ethan n'avait toujours pas fermé l'œil. On lui avait donné un lit, dans un petit dortoir dans lequel il avait pénétré à tâtons, de sorte qu'il ne réveillât personne. Cela semblait avoir fonctionné. Pourtant, Ethan n'était pas prêt à dormir. Qui l'aurait été dans sa situation aurait été un drôle de phénomène. Plutôt, il s'était précipité dans la salle d'eau attenante au dortoir et avait longuement observé ses oreilles, sa queue, et il avait plusieurs fois tenté d'y toucher, jamais sans grand succès.

Les animorphages sont soumis à un rythme biologique contraignant. Ethan s'en était bien rendu compte, et le professeur n'avait fait que confirmer ses intuitions. Lorsqu'il avait pénétré dans le dortoir, la première chose qui l'avait frappé, outre la vétusté extrême, ignoble des lieux, c'étaient dans les lits, toutes les têtes, plus ou moins jeunes, pourvues d'oreilles de chat. Ethan avait d'abord été très soulagé d'apprendre que les attributs félins ne se manifestaient que la nuit. Aussi, le jour, il ressemblait à n'importe quel adolescent. Il était une sorte de chat-garou, tout à fait inoffensif — et ridicule.

Blaise s'était alors détaché du mur avec un flegme qui ne supporte pas l'imitation. Ses mains bien enfoncées dans les poches, les épaules légèrement relevées, la tête bien haute et le regard fuyant, très entendu, il laissa échapper quelques mots ; et le professeur Krauss lui ordonna calmement de quitter la pièce, jusqu'à nouvel ordre.

— Si t'aimes souffrir, la métamorphose chaque soir et chaque matin, effectivement c'est un plaisir.

— Blaise. Il suffit.

Le reflet d'Ethan, dans le miroir, était tremblant d'inquiétude. Qu'avait-il voulu dire par là ? Il n'avait pas ressenti une grande douleur, lorsque sa queue, ses oreilles lui avaient poussé. En fait, il n'avait pas senti grand-chose, sinon l'effroi, la peur, le désarroi ; et elles lui faisaient toujours mal lorsqu'il essayait de les toucher, comme de nouveaux membres qui n'ont pas encore l'habitude du monde, de ses stimuli multiples et répétés.

Mais à cause de ces quelques mots, qui auraient pu être jetés simplement par pur plaisir de torturer, Ethan n'arrivait pas à fermer l'œil. Ou plutôt, il ne s'autorisait pas à fermer l'œil, quand bien même ses paupières s'affaissaient.

D'un autre côté, tous dans le dortoir avait l'air si calmes, si apaisés. Il était difficile d'imaginer que, dans quelques heures, tous seraient en proie à des douleurs incommensurables, en train de se tortiller par terre, crachant, suffocant, comme des rats à l'agonie dont on arrache un à un les membres. Car c'était cette image que Blaise avait suscitée en lui. Ethan tenta de ne pas repenser à l'épisode de la moto.

— Ici, tu vas apprendre ce dont tu es capable. Nous sommes ton salut et ta prison. Ton salut, car dans ta condition, sans aide, tu n'as nulle part où aller. Ta prison, car nous ne te laisserons aller nulle part sans autorisation. Ton corps renferme de tels pouvoirs que tu serais un danger monstrueux pour l'humanité.

— Et qu'est-ce qu'il arrive si quelqu'un décide d'aller vivre au-dehors avec ces... pouvoirs ?

— On le tue. C'est votre travail, à vous, vous qui êtes ici. Quand tu seras prêt, ce sera le tien aussi.

— Je tuerai ?

— Tu tueras.

—Je ne veux pas être un meurtrier. Je n'ai jamais rien demandé de tout cela !

— Personne n'a rien demandé, ici.

Blaise avait reparu au seuil de la porte. Cette fois-ci, le professeur Krauss avait un air triste, très sombre. Il le laissa poursuivre sans rien opposer.

— Tu peux refuser. Mais si tu refuses, je te tue. C'est pour ça qu'on me demande de rester ici. Au cas où.

Ethan déglutit. Il jeta un œil au professeur Krauss, qui évitait son regard. Blaise disait vrai.

Il passa ses doigts dans les cheveux, secoua la tête, comme s'il espérait chasser ainsi un mauvais rêve. Il n'en fut rien. L'image que lui renvoyait le miroir était triste, abattue, mais elle était réelle.

Prétendument, Ethan était capable de modeler son corps à l'envie. Mais à vrai dire, tout ce dont Ethan se sentait capable à présent, devant son miroir, c'était d'avoir incroyablement peur.

Il sentit quelques larmes, très chaudes, couler doucement sur ses joues rêches avec le parfum entêtant de l'adolescence. 

Animorphages『EN PAUSE』Where stories live. Discover now