33 - La démission

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J'ai quand même envie de me rencarder sur les dessous de Cosmens avant de mettre un terme à mon contrat. Je vais contacter Raphaël. Dans cette société au système pyramidale, comme il m'a fait rentrer, il est un peu mon sénior, celui que je suis sensée solliciter pour avoir des conseils. Il dispose d'une heure de libre cette après midi et me propose un rendez-vous sur le port.

Les bars du port de plaisance sont déserts la semaine en cette saison mais la marina garde son charme. Une brise chargée d'embruns nous rafraichit le visage. Son regard semble perdu dans la contemplation de l'horizon. Les cris des goélands et le cliquetis des mâts des bateaux qui s'entrechoquent invitent à la détente. Il se décide à rompre le silence.

- Mardi prochain, on a le séminaire biannuel du groupe. En juin, j'étais troisième meilleur vendeur, mais cette fois, j'ai un très gros retard sur les ventes. Ce n'est pas bon de reculer comme ça. Je vais prendre cher ! Il se tourne vers moi un instant et se reprend : je ne devrais pas te raconter ça...

- Ca reste entre nous.

- Vaut mieux que ça reste entre nous, dit-il avec un rire sans joie. Un de nos collègues a oublié sa clef USB chez un client. Elle contenait une présentation pour le séminaire. C'est passé en faute professionnelle. Il a été licencié.

- Comment on fait pour tenir les objectifs ? me renseigné-je.

- Si tu veux bien faire le job, tu rappelles tes clients tous les trois jours et tu planifies trente visites par semaine sur ton secteur. Je n'ai pas pris le temps de le faire.

- T'avais la tête à autre chose ?

- T'es au courant, de toute façon. Je le voulais bien le temps passé avec Marine. On n'est pas là pour faire du sentiment mais t'as des clients auprès de qui t'as pas envie de forcer l'achat. Sandrine a moins de scrupules. Elle va sûrement décrocher le trophée pour la troisième fois.

- Sandrine Bellos ?

- Oui, la pétasse agressive qui t'es tombée dessus à ton arrivée. (Tout se sait, on dirait). En tout cas avec une nana comme elle, je peux dire adieu à la prime. Ma femme qui comptait dessus pour partir en Croatie. Elle achète que de la marque pour les sapes des enfants. Elle vient d'inscrire Naëla au poney et Lucas à la voile. Ca coute un bras ! Je vais être obligé de vendre mon corps pour finir le mois, si ça continue, ironise-til.

C'est enfin l'occasion de savoir de quoi il en retourne.

- Tu t'es trouvée une cliente ?

- Marine ? Non... C'est une princesse, cette fille. Elle n'a pas besoin de payer pour avoir un homme. J'ai eu un kif pour elle. J'ai failli foutre mon job en l'air et mon couple. C'est tellement beau ce qu'on a vécu.

Je me demande s'il l'emmenait ici après la fermeture de la pharmacie.

- Et c'est terminé ?

- Professionnellement, j'espère rester sur son secteur. Et toi, t'as pris ta décision ?

- Ce que tu viens de m'apprendre me conforte dans l'envie de quitter la boîte.

- Alors pars tant que tu es libre de la faire. On n'en a pas toujours la possibilité.

Nous avons chacun un rendez-vous qui nous attend. J'ai l'intuition que c'est la dernière fois qu'on se voit. Lui aussi sans doute car il ouvre les bras et vient m'accueillir contre lui.

- T'as une super petite bande de potes, tu sais ! Profites-en.

Evanouie l'image du commercial arriviste et séducteur. Je le vois comme un homme amoureux et intègre qui a dû sacrifier une idylle pour privilégier sa famille. Les mots d'adieu ne me viennent pas. Qu'importe. A son regard, je sais qu'il devine ce que je ressens.

Mes adieux à Cosmens ont été à la hauteur du mois passé dans l'entreprise. J'ai déposé ma lettre de démission sur le bureau de Mme Richemont.

- Je suis pressée, là... Qu'est-ce que tu veux ?

- J'ai trouvé un autre poste. Lui ai-je annoncé tout sourire avant de tourner les talons.

Je suis ensuite passée au bureau de Christelle qui l'a contourné pour me serrer affectueusement dans ses bras.

- T'as raison de partir, m'a-t-elle chuchoté à l'oreille.

Mon dernier appel a été pour Sandrine.

- Attends deux minutes, je me gare. Pourquoi tu m'appelles ?

- Je quitte le secteur.

- Pour aller où ? Certaine qu'on ne peut trouver mieux que Cosmens pour satisfaire son ambition professionnelle.

- Dans une boite où tu ne travailles pas.

J'ai déposé mes clefs, ma carte et le véhicule de fonction, un peu à regret celui-ci.

Pour une fois, j'ai franchis les portes vitrées de l'agence, emplie d'une sérénité inédite.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 1 : enquête préliminaireWhere stories live. Discover now