Chapitre 3

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Heather

   Je tombe, tombe, tombe, ne cesse de tomber, en proie à la peur. Je cesse de crier lorsque je percute une masse en quatre dimensions qui me coupe le souffle. Totalement perdue, je regarde autour de moi, en quête d'une once de familiarité dans cet environnement. Je ne reconnais rien. Il y a des formes solides partout. C'est tellement étrange que c'en est intriguant. J'ai l'impression d'être enfermée dans une boîte. Un frisson parcourt mon corps entier. Tout est si restreint. Il y a des limites partout ; des murs, un plafond et un sol sur lequel je suis étalée.

   Je me relève maladroitement, cramponnée au meuble à ma droite. Fascinée, je fixe une masse sombre qui titube, la respiration saccadée. Je m'en approche, le pas aussi silencieux que possible pour observer cet étranger de plus près. Je percute un objet qui tombe à terre et se brise.

   Je tombe alors nez à nez avec l'humain qui se met à crier. Je recule, ne voulant pas l'effrayer et craignant également qu'il me fasse du mal. Je fais un second pas en arrière et tombe à la renverse, le pied pris dans un câblage.

   —Aïe, satanés objets humains, dis-je au moment où je heurte le sol.

   L'humain s'interrompt et son regard me parcourt de long en large une microseconde avant de se détourner.

   Je tente de me lever. Il tend la main dans le vide mais je ne l'attrape pas. Je me débrouille pour me remettre sur pieds tout en frottant l'endroit déplaisant sur lequel je suis tombé.

   —Tu...heu...

   Il me contourne, ouvre le porte et s'engage dans le couloir. Perplexe, je le regarde s'en aller pour revenir la minute d'après, les avant-bras chargés d'un tissu que je distingue mal avec le peu de luminosité.

   —C'est un peignoir, précise-t-il.

   Je n'ai jamais rencontré d'humain en chair et en os au paravent. Je le fixe avec de gros yeux, mais lui ne me regarde toujours pas, se contentant de me lancer le vêtement. Je l'attrape au vol et baisse les yeux vers mon corps en grimaçant, surprise de constater que ma tenue blanche s'est à moitié désintégrée.

   —Merci, dis-je, gênée, en l'enfilant.

   Je le referme à l'aide du cordon.

   Le garçon en face de moi a l'air affreusement paniqué, encore plus que moi. Compte-t-il entamer la conversation ?

   —Qui es-tu ? demande-t-il, la voix vibrante de fureur.

   J'ouvre la bouche mais il me devance.

   —Pourquoi et comment es-tu arrivée chez moi ?

   Je déglutis avec peine avant d'articuler.

   —Je n'ai aucune idée de la façon par laquelle je suis arrivée ici, avoué-je faiblement, prête à reculer au cas où il se montrerait violent.

   Son visage ne s'adoucit pas. Il doit sans doute me prendre pour une menteuse.

   —C'est la vérité.

   Je note qu'il croise les bras sur sa poitrine. Je farfouille dans ce que je sais à propos du comportement des humains. D'après le web du Réseau et mon interaction avec le seul autre humain que je connaisse, je sais que cette posture indique qu'il n'est pas propice à la conversation et à la compréhension, trop aveuglé par ses émotions. Comment suis-je censée manœuvrer pour lui faire assimiler que je ne lui veux aucun mal et que je n'ai même pas voulu arriver chez lui ?

   —Je ne te crois pas. Qui es-tu et comment es-tu arrivée ici ?

   Je ne sais pas quoi lui répondre qui puisse le convaincre que je suis perdue.

   —Je n'en sais rien, plaidé-je.

   Il secoue la tête, ne me croit toujours pas. Je sers les poings.

   Tout à coup, la clarté illumine la pièce. Le garçon lève la tête vers l'ampoule, visiblement soulagé d'un poids, mais il repose vite son attention sur moi, les yeux pétillants. Est-ce... de l'émerveillement que j'y lis ?

   —Comment es-tu rentrée ? s'enquit-il une nouvelle fois.

   Frustrée, je reste muette.

   —Dis-le moi ou j'appelle la garde. Tu me devras un paquet d'erros. J'espère même pour toi que tu ne seras pas bannie.

   Je suis certaine d'être informée sur ce qu'il appelle erros mais c'est le noir le plus complet dans mon esprit.

   —Erros ? répété-je.

   Il bat l'air de sa main.

   —La monnaie mondiale.

   Je cligne des yeux, le trou noir se dissipe et je recouvre petit à petit mes connaissances en la matière. L'erros a été instaurée il y a 150 ans. Moi qui ai des pertes de mémoire ? C'est peu commode. Je me sens comme une jeune idiote devant lui et j'ai la nette impression que la même pensée le traverse. Je creuse les épaules.

   —D'où viens-tu ?

   Je réfléchis un instant. Si je lui dis la vérité, il me prendra pour une réchappée d'un asile. Quoique, les asiles n'existent plus à ce siècle, juste l'exil. J'opte pour une réponse vague mais bien réelle.

   —De très loin.

   L'agacement se peint sur le visage de mon interlocuteur. Une mèche noire retombe sur son front lorsqu'il secoue la tête, une fois de plus.

   —Ce n'est pas une réponse.

   —Mais je...

   Je ravale mes mots.

   —Tu ne me croirais pas.

   Il inspecte son bras muni d'une montre digitale et presse un bouton. Je retiens mon souffle. Vient-il de contacter la garde ?

   Un vrombissement sonore s'approche en s'intensifiant. Le garçon ouvre la porte et un Irobot pénètre dans la pièce.

   —Monsieur ?

   —Minuteur, une minute, Irobot.

   —Enclenché, monsieur, émet l'automate en dépliant un écran où un compte à rebours s'engrène.

   —Il te reste moins d'une minute pour me dire d'où tu viens avant que j'appelle la garde.

   J'essuie mes mains moites sur le doux coton du peignoir en songeant à ce qu'il en adviendrait si par malheur il contactait les forces de l'ordre.

   —Je te jure que je ne sais pas comment je suis arrivée ici, et si je te disais d'où je viens tu me prendrais pour une folle.

   Un petit ricanement s'échappe de sa bouche.

   —Ça ne peut pas être pire que l'idée que je me fais en ce moment.

   Je plante mes yeux dans ses iris marron, espérant lui communiquer le désespoir qui m'agite.

   —Il n'y qu'une chose dont je suis certaine et que je peux te dire...

   Il lève un sourcil, en attente de ma révélation.

   —Je suis ici à cause de la trahison d'une amie.

   Le seul fait de prononcer ses mots me confronte à cette vérité si douloureuse. Je suis pratiquement incapable d'accepter cette trahison. À l'instar de recevoir une gifle monumentale sans sourciller. J'aimerais que ce soit possible de dire que ça me tord le cœur, parce-que c'est précisément mon ressenti en cet instant.

Virus, tome 1: MortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant