Le poids du devoir - Sous l'Oeil Oudjat tome 2

Chapitre 9

De grandes bourrasques de vent remuaient le sable chaud. Le port s'agitait en un tumulte désagréable. À l'horizon, le ciel se couvrait de lueurs arc-en-ciel, illuminé par l'ascension de l'astre solaire. Aucun nuage ne venait perturber sa quiétude. La mer, d'ordinaire si calme, avait entamé une danse délicate. Ce mouvement envoûtant brisait les reflets si parfaits qui se dessinaient en son sein.

Les esclaves chargeaient les cales de coffres de vivres et de présents pour le souverain séleucide. Nephtys écoutait l'eau claquer contre la coque en bois. Elle songeait, impuissante, au destin qui s'esquissait devant elle. Les désirs de son frère se concrétisaient et elle allait à nouveau quitter ce pays si cher à son coeur. Le retrouver, même pour aussi peu de temps, lui avait procuré un réconfort incomparable. Cette terre natale dont elle avait tant de fois rêvé. En comparaison, les retrouvailles avec son frère lui avaient parues bien ternes et décevantes.

Elle fut tirée de ses pensées par l'arrivée du char royal. Il était temps que Patmosis se montre. La jeune femme avait, pendant un instant, cru qu'il la laisserait partir sans qu'ils n'eussent le temps de se dire adieu. Encore. Les esclaves avaient fini de faire des aller-retours depuis quelques minutes maintenant et tout semblait prêt pour son départ. Pharaon descendit de son moyen de transport et se dirigea vers elle. Son pas était assuré et son port de tête digne. Une aura se dégageait de lui et Nephtys se demanda comment elle avait fait pour ne jamais s'en rendre compte. Ainsi paré de ses deux couronnes, il était à sa place. Ne prêtant aucune attention aux révérences maladroites qui lui étaient adressées, il vint lui faire face. Quelques secondes s'écoulèrent sans qu'aucun d'eux ne parle avant que la jeune femme ne rompe le silence :

– J'ai cru que tu ne viendrais pas.

Elle avait lâché cela comme une simple constatation, sans réfléchir avant d'ouvrir la bouche. Se morigénant intérieurement, elle affronta son regard sans ciller.

– J'ai longuement hésité.

Bien qu'elle eût eu toutes les raisons de se douter d'une telle réponse, cela lui fit plus mal qu'un coup de poignard en pleine poitrine. Feignant l'indifférence, elle haussa les épaules.

– Mais tu es venu. C'est ce qui importe.

Il se radoucit légèrement.

– Oui et je pense qu'il est temps pour toi d'embarquer. Siyx et Rië sont déjà à bord, tu n'as plus qu'à les rejoindre. J'ai mis d'autres gardes à ta disposition.

La princesse acquiesça.

– J'espère que tu te rendras compte de la véritable nature d'Antiochos avant qu'il ne soit trop tard pour l'Égypte.

Lui adressant un regard noir, il s'approcha et la serra entre ses bras musclés. Elle masqua sa surprise et lui rendit son étreinte. Agissait-il par obligation ? Elle en eut la confirmation lorsqu'il glissa au creux de son oreille :

– Ne gâche pas tout.

Pharaon se recula et elle s'éloigna de lui afin qu'il ne voie pas ses yeux embués de larmes. Elle n'était pas triste, habituée à présent à ce genre de comportement de sa part. Elle bouillonnait de rage qu'il puisse se montrer aussi méprisant à un tel moment. Après tout, ne l'envoyait-t-il pas sur un territoire ennemi, épouser un homme détestable qu'ils ne connaissaient pas –ou du moins que très peu ? Un peu de considération n'aurait pas été de trop. Elle soupira discrètement et rejoignit l'espace qui lui était dédié. Celui-ci était protégé du soleil par de grands panneaux de bois et regorgeait de coussins aux airs confortables.

Rië ne mit pas longtemps à la rejoindre. À peine le bateau eut-il amorcé leur départ pour Antioche qu'elle était à ses côtés. La suivante la salua respectueusement comme le voulait son rang et s'assit à sa droite. Rïe-Sephret était contente d'avoir enfin l'occasion de quitter Alexandrie. Si elle s'était souvent rendue à Memphis durant son enfance pour y passer la saison des pluies, elle n'avait jamais vraiment entrepris de voyage. C'était un rêve qu'elle nourrissait depuis fort longtemps. Même s'ils partaient en contrée ennemie, elle était extatique. Que de beaux paysages allait-elle découvrir !